The Icarus Line, combo américain actif depuis le début des années 2000, ne jouit pas en Europe et en France d’une immense réputation, mais bénéficie depuis son deuxième album Penance Soiree, sorti en 2004, d’un petit public d’initiés et d’une relative estime critique. Une dizaine d’années et quelques albums plus loin, il est de retour avec All Things Under Heaven, un huitième album dense et un peu difficile d’accès qui témoigne du chemin parcouru et de la maturité acquise par le groupe.
Fort de ses douze morceaux, dont certains de plus de huit minutes, et pour une durée totale de presque une heure et quart, All Things Under Heaven de The Icarus Line permet surtout de mesurer l’ampleur de son évolution musicale et atteste de nouvelles influences qui ne pointaient pas encore le bout de leur nez sur Penance Soiree, album-étalon du groupe. Construit sur un faux rythme, le disque est scindé en deux autour d’une piste-phare de douze minute éloquemment intitulée «Incinerator Blues», et qui constitue à la fois l’aboutissement du style recherché par le quintette et le manifeste esthétique de tout l’album. Longue intro lancinante qui pose une atmosphère malsaine et oppressante, tout en fourmillements instrumentaux autour d’une note de guitare saturée et étirée à l’infini, puis voix menaçante, déformée, tout concourt à l’élaboration par strates d’un rock au psychédélisme sombre et rampant à la violence contenue jusqu’à la déflagration, attendue et nécessaire.
Ce schéma, que l’on pourrait résumer par une forme tripartite : montée / partie centrale contrastante (violente ou plus rythmée) / descente ou crescendo final, vaut pour la première moitié de l’album, qui alterne pistes relativement courtes et pièces plus ambitieuses, à l’image de la paire qui ouvre l’album, les redoutables «Ride or Die» et «Total Pandemonium», si bien nommée. Schéma qui n’est pas sans rappeler celui du groupe qui s’impose ici comme l’influence majeure du disque, à savoir Swans, dont le retour en studio en 2010 avec le krautrock stellaire et anxiogène de My Father Will Guide Me Up A Rope To The Sky est postérieur à Penance Soiree. C’est bien simple, en 2004, soit pendant la longue gestation de groupe de Michael Gira après son époque dark-folk, cold wave et rock expérimental, l’influence la plus visible de The Icarus Line était les Stooges de Raw Power ou Funhouse, influence qui se ressent encore ici sur les pistes les plus directes du disque, comme «Solar Plexus», ou même sur les divagations planantes de «El Sereno» (difficile de ne pas penser au trippant «We Will Fall»). Mais les trois derniers albums de Swans et plus particulièrement The Seer en 2012 ont changé la donne et imposé un nouveau paradigme dans le post-punk contemporain, tendance psychédélique et expérimentale. Même la manière de chanter de Joe Cardamone semble s’être conformée à ce nouveau modèle ; son timbre étant plus nasillard que jamais et sa déclamation toujours plus incantatoire. En témoignent les imprécations effrayantes qu’il profère sur la chanson-titre du disque, intermède inquiétant qui rappelle les bad trips les plus douloureux de Jim Morrison, la caution pop salvatrice en moins.
Errance dans un paysage musical sordide et désolé, All Things Under Heaven prend parfois la forme d’un rouleau compresseur muant ses assauts sonores en rites hypnotiques, en transes psychédéliques fascinantes et cathartiques, dans la droite lignée de la clique à Gira, mais sur un modèle réduit et forcément plus nerveux. Mais la deuxième moitié de l’album trouve un rythme plus constant avec des pistes à la durée plus harmonisée, et s’imprègne de racines musicales plus traditionnelles, bluesy («Bedlam Blue»), funky («Mirror») ou classic rock, que le groupe assaisonne à sa sauce, forcément relevée, pour ne pas dire déformante. Le quintette américain trouve finalement un bel équilibre sur l’ensemble de l’album, entre le chaos admirablement orchestré de la première demie heure et le rock plus stable mais tout aussi malsain de la deuxième.
À la manière de ses contemporains Disappears, les nombreuses influences qui apparaissent évidentes dans la recette du groupe sont finalement bien digérées et réparties sur l’ensemble du disque, qui, s’il reste long et difficile à écouter d’un trait, s’achève sur le remarquable crescendo abstrait du mantra «Sleep Now», parfaite prescription pour résumer un diamant brut et noir de psychédélisme contemporain.
Originalement paru ici