La cinéma australien au féminin est fécond en portraits de femmes un peu paumées, ou complètement névrosées. Il y a les héroïnes têtues et déterminées de Jane Campion, les monstres effrayants (Animal Kingdom) et des figures interlopes comme l'héroïne de Sleeping Beauty, ou celle de The Babadook.

Car si pendant une partie du film c'est le gamin qui me faisait flipper, rapidement la mère est devenue beaucoup, beaucoup plus inquiétante. L'ombre de Médée plane un long moment sur cet intrigant long-métrage qui puise dans un sujet fantastique classique du film d'horreur pour réaliser ce qui ressemble plutôt à un film social un peu déstructuré.

Soit Amelia, veuve et mère célibataire dont le mari est décédé le jour où elle a mis son enfant au monde. La première scène du film revient sur ce double événement dans une séquence cauchemardesque et assez elliptique, qui pose un des principes de mise en scène du film : le gros plan sur le visage, et l'étrangeté par l'oppression des sens (vue et ouïe). Et soit aussi donc le gamin, Samuel. Il voit des monstres partout et est sujet à de récurrents cauchemars. Pas forcément étonnant vu l'état de sa mère. Car avant de basculer ouvertement dans l'horreur fantastique, The Babadook examine avec beaucoup de talent la psyché de son héroïne. Et celle-ci porte sur son visage les ravages de la dépression qui la broie. L'actrice est à saluer, elle s'appelle Essie Davis et jusqu'alors était cantonné à des seconds rôles dans des productions d'envergure souvent respectable (de Matrix 2 à Australia par exemple). Ici, son personnage de mère dévastée sombrant peu à peu dans la folie par l'intermédiaire de son fils (et de sa solitude) rappelle des grandes compositions de paumées monstrueuses dans la lignée de Gena Rowlands, dont le dernier exemple notable était l'époustouflante (et australienne) Cate Blanchett dans Blue Jasmine.

Pendant une bonne partie du film donc, on ausculte tout ce qui ne va pas chez cette femme. Son amour tendre pour un fils que l'on devine assez différent, ses crises, de plus en plus régulières, sa solitude, sa fatigue, son manque de temps. Et à mesure que les fêlures se font manifestes dans son esprit, la fantastique s'insinue dans le film. Bruits, apparitions, et surtout ce livre étrange qui revient et déroule un récit scabreux sous ses yeux terrifiés. Pas besoin de voir le Babadook (et on le voit un petit peu) pour savoir qu'il est là et pour le craindre. Dans le climax du film, qui n'en est pas la fin, on finit par le voir un peu partout, subrepticement. Un reflet, une ombre, un vêtement. On ne sait plus si c'est elle qui devient folle ou si le film nous manipule avec un brio certain, évitant souvent les écueils du genre. Deux ou trois scènes font ainsi monter la sauce de manière proprement insoutenable, puis le film fait un choix, peut-être pas le plus judicieux, et la tension descend d'un cran alors que l'hystérie elle, culmine.

On vire alors au huis-clos un peu plus traditionnel et un peu moins racé (le début rivalisait aisément avec certains Polanski niveau atmosphère anxiogène), mais néanmoins efficace. Les derniers affrontements nocturnes réservent quelques surprises assez riches en émotion, et le finale a au moins le mérite de surprendre, avec ses airs de faux happy end.

Outre ces exercices avec le genre qui sont somme toute assez habituels désormais dans le cinéma d'horreur, un autre aspect du film retient mon attention, et j'en reviens pour cela à mon point de départ. Que ce soit chez Campion, dans Sleeping Beauty ou encore dans ce film, les héroïnes sont peut-être toutes marginales à leur façon, mais elles ont un autre point commun, elles sont oppressées en tant que femmes. Dans The Babadook, c'est le mépris des institutions envers une mère dépassée par les événements, ce sont les jacasseries d'une troupe de commères à un anniversaire qui tourne mal, c'est le poids de la société enfin qui semble hurler dans la tête d'Amelia qu'elle est une mauvaise mère parce qu'il lui arrive de regretter la mort de son mari au détriment de la naissance de son fils. La voir, hypnotisée par un écran de télé où ne se succèdent que des femmes dénudées dans des publicités, grimées dans des films d'horreur ou manipulées par des hommes dans des polars achève de dessiner une forme de féminisme en creux où la névrose d'une femme n'est que le résultat de la somme de toutes les petites oppressions qu'elle subit au quotidien. Et dans un film qui observe avec malice la circulation de la peur d'un personnage à l'autre, d'un espace mental à un espace physique, d'une psyché à une représentation empirique enfin, c'est un geste fort, très fort.
Krokodebil
7

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le 31 juil. 2014

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Krokodebil

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