Je est un autre

Une bibliothèque a brûlé. À 77 ans, Allen Toussaint s'est éclipsé. Le vent l'emportait que ses doigts dansaient encore ses classiques, ses mélodies Américaines de l'enfance du jazz.

Magicien, il reprend ses airs et s'y dissimule avec malice, y insuffle tant de joie de vivre, d'inouïe tendresse, de mélancolie, de fougue. Le temps s'arrête, et 50 ans de musiciens, de fêtes, d'amis chers sont invoqués, réunis, chéris, salués, chahutés. Ces reprises inventent autant qu'elles invitent. Elles chassent le temps, remuent le continuum, vibrent au diapason de tant et tant de vies.

Quelques voix s'y élèvent aux derniers temps. Comme si tant d'affection ne pouvait demeurer muette de mots. Un saxophone s'enchante, un songe.

S'il était possible de mettre son âme toute entière dans une série de notes, le miracle est là. À tromper la mort. À s'unir à l'humanité toute entière, creusant la tradition, saluant ses pairs, ses amours, sondant ses peurs, ses désirs, pour se laisser envahir par la grandeur des autres, s'y unir, exister au delà de soi.