Jazz proggers du Grand Nord
Preuve vivante que l'on peut faire une musique intelligente, complexe et très travaillée toute en veillant soigneusement à ce qu'elle reste écoutable, Hidria Spacefolk est un sextet de space-prog, fusion et jazz expérimental. Et d'où vient-il, vous me demanderez ? Comme presque tout ce qui se fait de bon dans ce domaine en ce moment : du grand Nord, Finlande en l’occurrence.
Préparez-vous mes amis, car cet exceptionnel Astronautica est un voyage hallucinant, nimbé de mélodies planantes, de rythmes accrocheurs et d'un léger fond metal, une certaine tendance à l'agressivité qui n'est certes pas réservée aux seuls métalleux mais qui rapproche par moments le groupe de grands actes hybrides, tels Uriah Heep ou Hawkwind, souvent adorés des fans des deux styles (rock et metal). Et leurs maîtres à tous évidemment, les one and only Pink Floyd, qui comme on le sait sont aimés de tous sans restrictions de genres.
Tout démarre des intentions chamaniques du groupe. La section ryhmique (Teemu Kilponen à la batterie, Olli Kari aux percus et Kimmo Dammert) met en place une mélopée hypnotique, une transe dont l'explosion imminente tarde toujours à se faire sentir, emportant avec elle l'auditeur transformé en junkie, attendant fébrilement que ses chakras s'ouvrent définitivement. Tout le miracle de ce combo est là : les rythmiques sont répétitives, les mélodies lancinantes, et pourtant, point d'ennui à l'horizon, car le tout fourmille de détails. C'est tout l'intérêt d'être à six dans un groupe, et les deux guitaristes (Mikko Happo et Sami Wirkkala) et le claviériste (Veikko Sutinen) alternent les motifs, se renvoient la balle tout le long des morceaux.
Il serait sans doute faux de parler ici de progressif, il s'agit plus d'ambiances tissées méticuleusement, formant un pont entre jazz et space-rock. Cinq morceaux, qui se ressemblent dans leurs structures (sauf Badding, qui est un peu plus... prog, hum), et dont les intentions mélodiques fortement similaires au départ se transforment en un rendu final éblouissant de maîtrise et de variété créative. Utilisant avec une formidable intelligence le matériel à leur disposition ils parviennent à rendre passionnant ce qui pourrait être dans d'autres domaines un pénible délire électro long et soporifique.
Hidria Spacefolk c'est un voyage, un trip halluciné et hallucinant, et qui n'évolue que lentement et progressivement, sans pour autant manquer de reliefs comme en témoignent les fréquents riffs ou apparitions metal. Loin de constituer le squelette de cette album, ces propositions fugitives sont comme autant de portes laissées ouvertes, comme pour montrer à l'auditeur que s'il le souhaite il peut s'y identifier de cette façon. Car c'est à cela que l'on revient, finalement, comment je m'identifie à ce morceau, est-ce qu'il me parle, est-ce qu'il m'ennuie, et caetera. L'amateur de metal trouvera son compte dans cet Astronautica, mais également celui de transes électroniques, et bien entendu le féru de jazz et le fan de prog y seront comme des poissons dans l'eau.
Reste un écueil, l'absence totale de narration explicite. Je me répète sans doute mais vous n'écouterez peut-être pas cet album en allant chercher vos enfants à l'école ou en partant en vacances. Son écoute est rendue difficile par son manque de repères narratifs, la rugosité parfois volontairement hermétique de son propos et la lenteur des évolutions participant aussi à cet état de fait. De là à dire qu'il s'agit d'un album élitiste il n'y a qu'un pas, que je ne franchis pas, mais on y est presque. Aidés par des effet psychotropes vous pourrez facilement imaginer un grand voyage spatial, bien sûr, mais cette difficile identité le catégorise et l'empêche presque automatiquement d'atteindre le grand public.