La main dans le sac.
Aborder un thème aussi brillant à l'aide d'un scénario on ne peut plus plat, c'est le nouveau caprice de Sofia Coppola, épaulée de toute la famille. Pour sur, les personnages mis en scène...
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le 14 juin 2013
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Paco signe un cinquième projet, qui s’inscrit dans la veine de ceux du Gouffre puisqu’il a choisi d’inviter un ou plusieurs MC’s par morceau. Si l’esprit est à la franche camaraderie, la fraternité fertile, Baraka Feat pourrait même se vanter de proposer un éventail polychrome de certaines valeurs sures du rap français. Des Inglourious Bastardz à Demi-Portion, de LaCraps à L’Haxaler, en passant par La Smala. Le tout mixé, masterisé et parsemé (entre autres) des prods d’un Mani Deïz installé définitivement au rang de pilier indéboulonnable du hip-hop hexagonal.
Les deux hommes se connaissent bien et travaillent systématiquement ensemble sur chacun des projets du rappeur. Une collaboration qui fait toujours mouche et qui a atteint son paroxysme en 2013 avec l’EP Pacman et son inégalable Mi-fugue Mi-résine. Mais les deux hommes ne sont pas rassasiés et nous concoctent pour l’heure un Baraka Feat aux petits oignons, épaulés d’une belle barquette de narvalos.
Sur une production de Char du Gouffre, Cordon bleu met l’eau à la bouche et ouvre l’appétit. Le titre sera la seule performance solo de Paco puisque pour le reste le montreuillois se fera systématiquement épaulé au micro. Alléchant.
"du son pour les connaisseurs pas de restauration rapide"
"J’ai le savoir-faire d’un grand chef t’as des réflexes de commis
C’est tout frais c’est tout cuit parle pas de réchauffé
Fin de couplet je t’ai tout dit, la Barak c’est le projet"
Les membres des Inglourious Bastardz saupoudrent l’album de leur présence. Swift Guad nous fait l’honneur de dresser le décor sur Tu nous connais qui aurait pu faire office d’introduction. Jeff Le Nerf nous en dit un peu plus sur son art et reste A l’affût avec Aketo (Sniper). Mon petit préféré Furax Barbarossa allonge la liste (mais je m’y étendrai un peu plus loin) et 10Vers conclue l’album avec le très cartésien Au jour le jour.
L’album est un aller simple vers ce qui fait l’essentiel des rapports humains, ceux de smicards devenus MC’s confirmés. Le tout tantôt servi sur fond de positivisme enjoué ou, à l’inverse, de constat plus grisonnant ce qui offre un contraste approprié.
Ce projet est aussi l’occasion de mettre sur le devant de la scène des MC’s à la renommée plus discrète et de faire de belles découvertes, notamment sur les deux pistes consécutives Ras l’bol et Monde en ruines. Deux tracks aux allures de tristes bilans, intégralement tournées vers un extérieur plus consternant que concernant. H.A.M et B-Lel poussent un timide ras-le-bol mais pas moins pertinent et Wira prend la parole et s’insurge d’un Monde en ruines.
La faim du mois, avec les (un peu trop ?) pragmatiques Saër Lui-Même et le nasillard mais talentueux Katana, dépeint un quotidien rattrapé par ses réalités physiques et matérielles. Un morceau dont le pessimisme est vite oublié sur le suivant, le bien plus épicurien On est pas bien là, qui donne des envies de se chatouiller les valseuses. On a juste troqué Dewaere et Depardieu contre Melan et L’Hexaler, tout aussi bien aptes à profiter des bonheurs, surtout lorsqu’ils sont partagés.
"On est pas bien là ?
avec nos teilles, nos joints, nos couz
Nos rêves, nos craintes not’ flouze"
L’identité du projet suinte la testostérone et se situe quelque part entre les parcours de trentenaires galériens et l’amertume liée au climat ambiant. On l’a bien senti, ce sont les liens familiaux et l’amitié infaillible qui sauvent la mise et dessinent le fil conducteur du projet. A l’image de Faux-frères, véritable hymne à l’amitié incorruptible face aux transparences et dissolutions de certaines relations.
Mon énorme coup de cœur s’est collé sur la track Change de Furax et Sendo, actuels membres du collectif Bastard Prod. A contempler le trio au timbre le plus rauque du projet, on ne sait plus tellement si ce sont les mots qui viennent saigner les lacets de l’instru du stéphanois Shaolin ou si c’est l’instru, à ranger du côté de celles capables de perforer les aigreurs de la nostalgie, qui vient découper les vociférations des trois MC’s.
Le couplet et le refrain de Furax scotchent littéralement, celui de Paco est guidé par un regard si fin porté sur les parcours de vie déviants et les aiguillages si spontanés qui les dessinent.
"Y’a ce mec piétiné par l’état né sous la semelle
Avachi, remboursant ses dettes en sang
La magie, faire croire aux siens que l’important
A 100% c’est vivre ensemble"
"Petit la vie t’a écorché, la blessure est en toi
fragile t’as décroché, placé tu traines en bas,
T’as tourné le dos à tes proches, t’as déçu tes renpas
Tu as très tôt raté le coche mais avais-tu vraiment le choix ?"
S’il y a bien une écriture qui claque un peu plus dans ce déferlement de mots, c’est bien celle de Saké, et on guettera forcément du côté de son deuxième solo album à venir. Il livre dans son couplet sur le titre Vamos que son rap est autant un défouloir qu’un purgatoire ("j’pourrais craquer sur un coup de tête et foirer toute ma vie"), après avoir précisé d’entrée que "c’est l’amertume qui donne le goût de ma zik". La plume est chargée de maturité et d’honnêteté, ceux d’un homme "sur le chemin des regrets, parti une valise dans chaque main".
"J'protège pas mes arrières avec un flingue caché derrière mon pieu"
"Je m’accrocherai tant que je serai pas définitivement mort"
"Demain si j'crève, allez leur dire qu'j'voulais rendre fier mon vieux
J'veux pas vivre, la même journée qu'la veille
C'est pas mon carré d'shit qui pourra m'détourner d'ma peine"
C’est juste et intègre. L'enchaînement avec le couplet de Paco est d’une fluidité sans nom, celle d’un pote qui en appelle un autre en renfort après en avoir trop dit. Un relais qui coule de source et place Paco sur la bonne voie, comme un poisson dans l’eau, ou un oiseau dans l’air :
"j’suis comme une éolienne je tourne en rond je brasse du vent"
"Bas la race, on est à poil mais pas mal à l'aise"
"Des guerres sophistiquées, des cerveaux dissipés"
Le titre On rêve tous pourrait laisser croire à une embarcation dans les contrées de l’onirisme avec Demi-Portion, sauf que de Montreuil à Sète, la tendance serait au rêve déchu. Celui de Paco est centré sur la sécurité financière, le repos dans l’abondance matérielle, alors que Demi-Portion martèle qu’il est bien devant son micro avec Paco, que l’osmose est là, "bon kiff good vibe" , et qu’il faut envoyer l’instru. Je reconnais être passé au travers de cette track, dont le propos ne m’a pas emballé et où la camaraderie semble avoir pris le dessus sur sa qualité. Saluons ici les deux belles productions au piano du beatmaker Greenfinch.
"On a tous un rêve que cette vérité brise"
La plume de Paco est guidée par les interrogations liées aux trajectoires de vie. C’est celle d’un père soucieux des jeunes générations, optimiste et bienveillant mais jamais magnanime. Elle est sans artifice ni fioritures. La « pacosphère » est d’une couche d’authenticité sans trou et son noyau dur est la capacité à puiser dans son propre passé, dans ses propres bagages pour en transmettre une humble voie de sortie.
Une voix portée Vers l’avant, comme l’affirme Néfaste après ses Premiers Pas prometteurs aux côtés d’Itam, que l’on retrouve avec deux productions au menu de la Baraka. Le Val d'Oisien déploie une nouvelle fois son niveau technique avec Paco et Mani Deïz et on ne peut que lui souhaiter de poursuivre ce parcours vers l’avant, plutôt que de tourner autour des thématiques liées aux éternelles résines et boissons, triturées à outrance dans la jeune discographie du MC. Ces dépendances/refuges ont été, il me semble, suffisamment traités par les rappeurs français et je crois que le propos est proche de l’essoufflement...
Seyté & Senamo de La Smala apportent leur pierre à un édifice déjà copieusement garni sur le titre Les faits ont là. Les rappeurs belges couvrent par ailleurs l’actualité bien remplie des bonnes sorties rap francophones du printemps 2016 avec Mani Deïz (!) avec leur album Trois fois rien.
"les faits sont là, parfois banals poussiéreux
Ils s’agitent ici bas ils se baladent sous tes yeux
Ça va de Belgique à ri-pa"
"La grisaille a pris le pas sur ce doux ciel bleu"
Guettons les menus de la Baraka de Paco : dix-huit pistes plus une cachée, une petite trentaine de MC’s et une dizaine de beatmakers, le tout pour dix euros. Avec une telle carte, difficile de jeûner. On ne pourra tout de même s’empêcher de mettre un bémol sur la côté distribution de l’album, réservée aux grandes enseignes qui inondent les petites. L’indépendance se situe également du côté des vendeurs, oubliés ici.
L’album livre un joli florilège des meilleurs galériens et appelle d’autres volumes du même nom. Celui-ci est séduisant et est insufflé par une diversité cohérente. Le principe d’un couplet de Paco sur chaque morceau, gage de qualité indéniable, et des featurings s’est avéré pertinent. Nul doute que ce Baraka Feat perdurera et n’aura de peine à s’affirmer comme un incontournable. Une autarcie d’une richesse rare.
Viens pas me dire que la roue tourne J’ai la vie d’un hamster
Créée
le 3 oct. 2016
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