Il est tout simplement impossible d’avoir les mêmes attentes vis-à-vis de Tortoise en 2009 et en 1998. En une décennie, de l’eau a coulé sous les ponts dans le post-rock. Avant-gardiste à ses débuts, il a finalement connu un destin similaire au rock progressif des 70s : une auto-caricature de plus en plus courante et un déclin qualitatif flagrant. La Tortue de Chicago n’a pas échappé à cette pandémie ayant causée la perdition de tout un genre. Puisqu’elle n’a pas su rebondir après leur mémorable TNT en se vautrant dans une vaine abstraction confinant au snobisme. Perdant, par la même occasion, cette précieuse science du groove adéquat et de la mélodie qui tue. C’est pourtant quand nos attentes sont proches du zéro absolu que les réussites éclosent. Cinq ans après It's All Around You, ces musiciens reviennent aux affaires avec ce qui semblait fortement improbable dans ce contexte : un bon album.
Pour réussir son retour, il n’y a rien de plus simple, il faut se renouveler sans perdre son identité. C’est-à-dire, triompher là où ils ont échoué lamentablement sur Standards. Beacons of Ancestorship est donc le disque capable de nous réconcilier avec eux. Rien que « High Class Slim Came Floatin' In » éblouit au point de faire oublier leurs précédents faux pas. En plus d’être un des meilleurs morceaux qu’ils aient écrit depuis des lustres, il s’agit d’une carte de visite rendant compte des heureux changements qu’on attendait de leur part.
Premièrement, la rythmique est redoutable. John McEntire a toujours été un bon batteur, mais sa frappe est devenue plus agressive ce qui donne un aspect plus dur et efficace à la musique. Autrement dit, il a remis le rock dans le post. Voilà une démarche qui ne pouvait qu’enthousiasmer dans un style s’étant métamorphosé trop rapidement en une musique d’ascenseur sans saveur.
Deuxièmement, le son est bien plus synthétique qu’auparavant. Les synthés sont gras et grésillent. Ça sent le gros son mais fait au sein d’un studio dans lequel on n’a pas fait le ménage. C’est sans doute le point qui ne fera pas l’unanimité auprès des amateurs. C’est néanmoins cet aspect électronique qui donne de la personnalité à cette sortie.
Dans tous les cas, cette introduction est géniale. Elle évoque tout ce qu’on pouvait trouver de mieux dans le progressif d’antan. Tels que ces changements d’ambiance et de tempo donnant cette sensation d’écouter plusieurs compositions dans un seul morceau, mais sans que cela ne le desserve. Puis cette obsession pour une rythmique métronomique et si entêtante à la NEU!. Ce qui confirme amplement la place que le groupe récupère ici : celle d’un des héritiers les plus légitimes du krautrock. Donc d’un rock au geste artistique réfléchi et aux idées expérimentales. Du rock intello qui n’oublie pas de faire suer. Alors autant dire le meilleur des deux mondes.
Si Beacons of Ancestorship propose d’autres moments qui corroborent un regain d’inspiration (le funky « Northern Something », le très Macha « Gigantes » aux sonorités Asiatiques ou encore « Charteroak Foundation », une jolie conclusion), des faiblesses subsistent. Notamment dans cette seconde moitié d’album s’essoufflant à plusieurs reprises. « Yinxianghechengqi » est un punk bruyant très défoulant, mais à l’intérêt musical discutable. « The Fall of Seven Diamonds Plus One » ennuie à force de flirter avec la lounge et « Minors » ressemble à une chute de studio qu’on a déjà entendu ailleurs dans leur discographie.
En dépit de ces quelques reproches, Tortoise dévoile un visage ne pouvant pas laisser indifférent. Car plus remuant et plus groovy que ce tout ce qu’ils ont pu composer. Et même si cette facette ne peut pas toujours rivaliser avec l’inventivité de leurs opus des années 1990, elle fut porteuse d’espoirs assez fous quant à l’avenir de la formation. Des espoirs qui s’évaporèrent, hélas, en un instant à l’écoute du bien nommé Catastrophist.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.