Récemment séparé de leur manager Andrew Loog Oldham, les Stones s’associent à Jimmy Miller et rentrent en studio avec comme espoir de se remettre dans le droit chemin après l’égarement psychédélique (mais non moins intéressant) Their Satanic Majesties Request. Tout commence de la meilleure des manières lorsque sortira en mai 1968 l'immense single Jumpin’ Jack Flash, qui sera confirmé par la sortie en décembre de la même année de l’un de leurs chefs-d’œuvre Beggars Banquet.
Beggars Banquet marque avant tout le retour aux sources et à leurs racines blues, pas celles du British blues boom de John Mayall et des Yardbirds, mais des racines blues venant du delta du Mississippi et du pays de l’oncle Sam. S'il y a un retour, c’est aussi qu’il y a un départ, quelques petites (ou grandes) choses qui changent, et ici, c’est Brian Jones. Déjà en proie à des problèmes personnels (Keith Richards lui a notamment piqué sa petite amie lors d’un voyage au Maroc) et avec les médias (qui en font sa cible dans la lutte contre la drogue), ceux avec les Stones vont l’éloigner du groupe. D'abord, il se voit refuser un passeport pour les USA, ce qui empêche le groupe d’aller tourner là-bas (ils ont déjà arrêté les concerts depuis quelque temps), puis il verra son influence grandement diminuée suite à des divergences musicales avec le reste de la troupe et notamment Keith Richards. Ces influences, elles se font énormément ressentir sur Their Satanic Majesties Request, Between the Buttons et surtout Aftermath, leurs trois derniers albums, elles se font rares ici, du sitar sur Street Fighting Man ou encore un peu de slide sur No Expectations.
Ce sera d’ailleurs le dernier album où il aura un minimum d’influence …
Il y a d'abord cette pochette, inoubliable, représentant des toilettes sales avec des graffitis, censuré à l’époque (remplacée par un carton d’invitation blanc avec juste le nom du groupe et de l’album), Beggars Banquet s’ouvre sur le fabuleux, l’endiablé et l'envoutant Sympathie for the Devil.
Tout ou presque à déjà été dit sur ce morceau, devenu pierre angulaire dans la carrière des Stones.
C’est à la base Marianne Fainthfull qui a inspiré les paroles à Jagger en lui conseillant le roman Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov. Plusieurs hurlements traversent ce morceau où Jagger se met dans la peau d’un diable élégant (a man of well and taste), qui est là depuis de longues (longues) années et qui influe sur les évènements majeurs que le monde ait connu. Jagger provoque tout en faisant preuve d’intelligence. Et puis si ce morceau est resté gravé dans les mémoires, c’est aussi grâce à la basse omniprésente, aux notes de piano, aux excellentes touches de guitares ou encore aux chœurs.
Très loin de moi l’idée de résumer Beggars Banquet à Sympathie for the Devil. Sur le reste de l’album, Keith montre qu’il a bien fait de reprendre les rênes musicales. Il entre dans son âge d'or pour ce qui est de l'inspiration, ses compositions sont remarquables, et il use à merveille de sa guitare acoustique et offre plusieurs morceaux mémorables tels le pur blues Parachute Woman, le country teinté de folk Dear Doctor ou la superbe conclusion Salt of the Earth.
Mick Jagger, lui, voit le monde bouger autour de lui, notamment en France et aux USA, et il écrit Street Fighting Man l’un des titres les plus politiques des Stones dont le titre résume tout. Il se rend aussi compte que si le monde bouge ailleurs, ce n’est pas le cas en Angleterre (the time is right for a palace revolution, But where I live the game to play is compromise solution). Sur ce titre, lui aussi resté dans les mémoires, on remarquera le sitar de Brian Jones. Enfin, Jagger n'oublie pas non plus ses aventures ambiguës et son gout pour les paroles provocantes et parfois salaces.
Lorsque Richards range sa guitare acoustique pour sortir l’électrique, c’est tout aussi parfait et il se révèle à nouveau brillant. Le groupe joue, notamment, le provoquant et sombre Stray Cat Blues ainsi que le génial Jigsaw Puzzle où l’électrique répond à l’acoustique. L’ensemble de l’album est cohérent et s’écoute sans aucune fausse note. Charlie, Bill, Keith, Brian ainsi que les musiciens supplémentaires tel Nicky Hopkins au piano jouent parfaitement bien ensemble et sont en parfaite osmose.
Beggars Banquet lance une série de chefs-d’œuvre mais aussi l’âge d’or des Stones, ainsi que la fin aussi rapide que brutale de Brian Jones qui quittera le groupe et mourra peu de temps après. C'est un extraordinaire retour aux sources, un album brut, génial et sauvage où la bande à Mick et Keith puise au plus profond d’eux même et dans leurs racines blues.
Tracklist :
Sympathie for the Devil
No Expectations
Dear Doctor
Parachute Woman
Jigsaw Puzzle
Street Fighting Man
Prodigal Son
Stray Cat Blues
Factory Girl
Salt of the Earth