Lâcheté et mensonges
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En 1976, lorsque l’embrasement punk prit la Grande-Bretagne par surprise, l’objectif du « Combat Rock » était clair : se dresser contre l’extrême-droite nationaliste, réactionnaire et raciste qui commençait à menacer la société. Par l’attitude, par la musique, par l’apparence, par des slogans provocateurs (« No Future », c’est-à-dire au contraire me désir d’un futur qui nous appartienne, quitte à ce que Londres brûle…), la jeunesse se dressait contre une société sclérosée prête à abandonner tous ses principes.
45 ans plus tard, l’extrême-droite est malheureusement devenue un courant dominant dans bien des pays, mais les combats que doit livrer la jeunesse pour un futur qui soit seulement vivable se sont multipliés, et les enjeux ont salement monté en importance. Être punk en 2021, parce que le punk rock est à nouveau essentiel (et non l’un de ses revivals stériles qui ont toujours cycliquement rythmé les époques…), c’est sans doute avant tout militer pour une société plus humaine, contre la dégradation universelle du lien social, contre l’emprise asphyxiante de la logique économique et des systèmes politiques de plus en plus autoritaires, pour que la planète elle-même ait un avenir.
En 1976, alors que nous attendions les Damned, les Pistols, les Clash, tous nos nouveaux amis anglais virent leurs premiers albums dépassés en fureur, en violence, en « esprit punk » (et même en termes de date de parution !) par le "I’m Stranded" de The Saints, un gang australien sans merci. Comme l’histoire aime à se répéter, nos regards se tournent en ce moment vers Melbourne, capitale australienne – et ce depuis un moment – du rock dur, de la musique extrémiste : la sortie de "Beseech Me", le premier album (en fait déjà publié localement aux frais du groupe l’année dernière) de CLAMM, confirme tout ce qu’on pressentait. Que le punk rock est toujours d’actualité. Que la contestation se doit d’être désormais intraitable vis-à-vis du système tout entier qui nous conduit au désastre. Que les Australiens sont bien plus sérieux à ce jeu du radicalisme que nous, Européens craintifs.
CLAMM est donc un power trio, soit le format idéal pour le Rock simple et efficace : guitare (Jack Summers) – basse (Maisie Everett) – batterie (Miles Harding), rien de superflu ! CLAMM, qui a déjà beaucoup fait parler de lui en Australie – malgré le jeune âge de ses musiciens – depuis son émergence au sein de la foisonnante scène underground de Melbourne, devrait maintenant tout emporter sur son passage dans le reste du monde. Musicalement, on est dans l’application rigoureuse des « règles » du genre, avec des morceaux rapides, aux refrains facilement mémorisables, avec une guitare saturée sur une rythmique puissante, avec un chant passionné qui porte une saine colère, mais surtout une réflexion amère sur notre état à tous. Le tout parfaitement emballé dans un album qui ne dépasse pas la saine durée des 30 minutes, comme il se doit.
De l’introduction urgente et effrayée de "Liar" (« I know it’s coming for me / I see see see see see / And now I don’t know what to do / … / I’ve never been a winner », soit : Je sais que ça vient pour moi / je vois vois vois vois vois / Et maintenant je ne sais pas quoi faire /… / je n’ai jamais été un winner… ») à la conclusion frustrée sur notre société de "Bossman" (« And the boss man struts his stuff / On the train everyday /And the kids are on their phone /But does he care does he care does he care? / Does he care does he care about anything? / Outside his leather seats and expensive lenses? » : Et le patron se pavane / Dans le train tous les matins / Et ses enfants sont sur leurs téléphones / Mais s’en soucie-t-il, s’en soucie-t-il ? / Se soucie-t-il de quelque chose ? / En dehors de ses sièges en cuir et de ses lentilles chères ?), "Beseech Me" est une course ininterrompue, pleine d’obstacles, d’arêtes tranchantes et de rencontre avec des objets contondants : un disque engagé contre l’hostilité et la violence qui nous entourent désormais en permanence.
Le redoutable "Sucker Punch", peut-être le titre le plus intraitable de l’album, est pourtant clair sur ce point : « If there’s something to say, then just say it louder / I don’t want to fight, cause I’m a fuckin’ coward / … / Nothing cool about it, nothing tough about it / Violence / Go and get your ass home and have a fuckin’ shower » (Si tu as quelque chose à dire, alors dis-le plus fort / Je ne veux pas me battre, parce que je suis un putain de lâche /… / Rien de cool à être violent, ça ne fait pas de toi un dur / La violence / Rentre plutôt chez toi et prends une putain de douche), répondre à la violence de la société par la violence physique n’est pas la solution.
"Beseech Me" pose clairement l’équation du problème, souligne les conséquences sur notre vie quotidienne, sur notre mal-être de plus en plus profond avec honnêteté : c’est déjà énorme. On attend maintenant le second album de CLAMM.
[Critique écrite en 2021]
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Créée
le 13 avr. 2021
Critique lue 72 fois
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