L’usine à buzz ? Tu parles d’un titre pour un groupe qui n’a jamais pu profiter de la moindre hype. Mais se cacher derrière l’ironie est tout à fait dans la mentalité de cette génération X que le grunge a révélé aux yeux du monde entier. Car quand on n’a aucun succès, se blinder grâce à l’humour est un bon moyen de supporter les difficultés liées à la profession de musicien.
Cependant, les Screaming Trees semblent prendre un tournant dans leur carrière avec cet album. Après avoir été musicalement voisins du grunge, ils décident de s’en approcher géographiquement en partant enregistrer au sein du studio de Jack Endino, personnage très important dans le son de Seattle puisqu’il fut le producteur emblématique d’une kyrielle de formations grungy dont certaines seront des plus importantes dans les années 1990 (Soundgarden, Nirvana ou encore Mudhoney). Et ça doit être à peu près tout, Buzz Factory n’étant pas une sortie surprenante. La musique reste dans la continuité de ce grunge très psychédélique ayant fait la particularité d’Invisible Lantern. En plus professionnel et en moins abrasif. Ce qui est tout le problème de ce skeud pas mauvais, mais coincé entre la fin d’une période dite "indépendante" et une autre sur une major. Le côté punk s’évapore au profit d’un rock plus dans les clous et dont les compositions peinent à marquer durablement.
Ça commence pourtant sur les chapeaux de roues avec « Where the Twain Shall Meet » au refrain fédérateur. D’ailleurs, la voix de Mark Lanegan se rapproche au fur et à mesure de la maturité en même temps que sa consommation d’alcool augmente. Gérer ce pauvre bougre ne devait pas être une partie de plaisir pour les frères Conner. Toutefois, on peut se dire que ce ne fut qu’un moindre mal tant la voix de ce grand chevelu s’approfondit au fil du temps. « Black Sun Morning » est également un des titres majeurs de cet album, son chœur étant inoubliable, même si on regrette que la composition ne repose presque que sur ça.
En réalité, les titres les plus psyché sont, de loin, les plus intéressants. Gorgés de wah-wah (« Wish Bringer ») ou de riffs entêtants (« Too Far Away »), c’est quand la bande assume son penchant pour un rock perverti par les stupéfiants qu’elle retrouve cette identité faisant d’elle une entité à part dans le grunge. La petite touche pop 60s n’étant présente que pour rendre ce boxon accessible. Car dès qu’elle s’envole vers une sorte de britpop américanisée (ce qui confirme que les Trees n’étaient décidément pas nés au bon endroit, un peu comme Swervedriver) à l’image de la ballade « Yard Trip #7 », ce n’est tout de même pas palpitant. La conclusion « End of the Universe » confirme que c’est bien cet alliage entre hard rock enfumé et pop nostalgique qui fait tout leur intérêt. Le reste, tel que je l’ai dit, n’est pas mémorable. Loin d’être déplaisant, mais rien qui ne donne vraiment envie de revenir dessus comme ça pouvait être le cas de leurs deux précédents méfaits.
Pour sa dernière parution sur SST, les Screaming Trees restent donc sur leur acquis et ne cherchent pas encore à entamer une nouvelle direction pour redonner de l’intérêt à des chansons désormais trop semblables à leur passé. Surtout que les grands disques ne manquent pas en 1989. Alors que Buzz Factory soit passé à la trappe n’est que pure logique. Toute cela signifie que pour rentrer dans les années 1990 par la grande porte, il va falloir se donner les moyens d’y arriver et savoir bien s’entourer. Et puis avoir un peu de chance. Il ne faut jamais négliger une part de chance. C’est même elle qui fait presque tout.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.