Il fallait être inconscient ou passionné jusqu’à la folie pour se lancer dans le shoegaze en 1993.
Prétentieux, inaudible, immature, morne… Les reproches de la presse envers cette scène surtout composée de jeunes étudiants n’étaient pas tendres. Revolver ne fut également pas épargné à la sortie de cet album qui restera leur seul fait d’arme de longue durée.
Pourtant, ils étaient déjà là depuis quelques temps. Trop tard selon les journalistes trop occupés à soigner leurs tournures de phrases plutôt qu’à laisser la musique entrer dans leurs esgourdes, mais néanmoins présents au moment où le style démarre son ascension médiatique pour de bon. Une ascension qui ne sera bénéfique que pour la tête pensante du mouvement : My Bloody Valentine. Parce que protégé par le sceau du bon goût et d’un statut (surfait, car erroné) de précurseur.
Revolver aura néanmoins été capable de composer un des disques les plus typés de cette époque. Il s’inscrivait dans cette récente tendance du shoegazing à se rendre de plus en plus sophistiqué sans être systématiquement noisy à l’image d’In Ribbons des Pale Saints ou du Lazer Guided Melodies de Spiritualized. Pour être le plus proche possible de la réalité, Revolver est le cousin progueux de Ride. Leurs premiers singles et EPs sont similaires, car bruts et bruyants (qu’on peut entendre regroupées en partie sur la compilation Baby's Angry) et ils partagent une sensibilité pop très 60s (le mirifique « Coming Back »). A la différence qu’ils avaient disparu des radars peu après leurs œuvres de jeunesses pour revenir métamorphosés deux ans plus tard, puisque plus ambitieux et originaux.
Ces Anglais s’engageant désormais dans une tournure progressive. La variété des instruments (inhabituelle pour du rock alternatif) et la structure de plusieurs morceaux les éloignent du format pop. Sans toutefois les pousser dans une vaine complexité et un étalage technique qui aura fait plonger le rock progressif dans ses plus pénibles excès. La rareté des refrains (un détail qui ne pouvait que déplaire dans cette ère pré-britpop !) confirmant leur volonté de composer une musique sortant des sentiers battus. Leurs mélodies alanguies et la tranquillité apparente des chansons (le mystérieux « Cradle Snatch » n’étant en réalité qu’un crescendo qui n’explosera qu’en toute fin) démontrant que ce disque ne pouvait pas être viable commercialement dans une ère où l’efficacité du rock devrait primer avant tout.
Cold Water Flat n’en reste pas moins étonnamment captivant, malgré tous ces éléments pouvant se montrer rédhibitoires. Tout cela, on le doit au talent de Mat Flint, le songwriter en chef. Chanteur reconnaissable sans être remarquable (dans la même veine que Mark Gardener) mais capable de délivrer des trésors de mélodies tout en les mâtinant d’un lyrisme aérien particulièrement savoureux. Que ce soit sur les titres les plus insidieux (l’incroyable « Cool Blue » et sa basse profonde, l’épique « Wave ») ou les chansons les plus traditionnelles (« Shakesdown » ou la britpop « Bottled Out »). Ses arrangements orchestraux et son goût pour le psychédélisme affirmant encore plus l’héroïsme de ses compositions.
Psychédélisme, pop des antiques années 1960, arrangements baroques… Pourquoi cet album n’a t-il pas gagné au moins un succès d’estime alors qu’il rassemblait plusieurs des caractéristiques qui allaient faire la gloire de la britpop ? Mauvais timing ? Hélas, en cette année 1993, c’est le Giant Steps des Boo Radleys qui raflait tous les suffrages au point d’éclipser les autres sorties méritantes. Les exemplaires de Cold Water Flat restèrent dans les bacs des disquaires et Revolver ne s’en ait jamais relevé. Par la suite, Mat Flint ne fera qu’une apparition en tant que bassiste chez les surestimés Death in Vegas. Ce qui rend encore plus amer, c’est que ce disque est devenu la promesse d’un avenir expérimental qui n’est jamais venu faute de ventes. Il annonçait les futurs cheminements aventureux du shoegaze tout en restant attachés aux valeurs de la pop. Une alternative à Going Blank Again en quelque sorte.
Qui sait ce que ça aurait donné si Mat Flint avait pu continuer tout en ayant carte blanche ? En attendant, dans cette étrange période qu’était la première moitié des 90s, même les groupes de seconde zone étaient capables de sortir de grands albums.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.