Lâcheté et mensonges
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
Par
le 29 nov. 2019
205 j'aime
152
« She reached out a cup / When the next she showed up / Replacement asking what’s been going on / She says “Not very much” / But she’s seen a lot of action / Oh the terrible things she’s seen / On her screen / It’s a clean kill / It’s a clean kill / It’s a clean kill / But it’s not clean… »
Imaginez votre journée au bureau, la pause à la machine à café, les bavardages avec les collègues, et le retour à votre station de travail où vous pilotez un drôle et envoyez une bordée de missiles sur une école coranique quelque part en Afghanistan. Coriky a fait avec son "Clean Kill" une chanson pour vous, réjouissez-vous, et sur le malaise qui vous envahit parfois quand vous rentrez chez vous le soir, et que le sentiment d’avoir bien fait le boulot aujourd’hui s’estompe.
Mais sur "Coricky", l’album, vous entendrez aussi une chanson sur le copain de votre fils à l’école qui est venu l’autre jour en classe avec un fusil mitrailleur acheté chez Walmart pour nettoyer le collège (« Packed into a vacuum / All sucked up / Killed inside the classroom /All blown up / So empty » – "Jack Says"). Et sur ce beau pays, l’Amérique, si grande qu’il lui faut toujours être en guerre, mais qui a toujours raison de l’être : « It’s in our hands / It’s in your constitution / It’s in our house, it’s in our hands / It’s in our eye, it’s in our blood / It’s in our DNA » ("Have a Cup of Tea")… c’est du brutal, non ?
Peut-être vous rappellerez-vous alors quand vous n’aviez pas encore 20 ans, au début des années 90, que vous habitiez encore Washington, et que vous aviez assisté à un concert de Fugazi, ce drôle de groupe punk hardcore qui avait arrêté de jouer du punk hardcore, et professait une rébellion intelligente, cultivée, contre l’establishment politique américain, contre le capitalisme prédateur, contre le sexisme et le racisme endémiques dans la société US. Le tout sans violence, sans drogues, sans alcool. Un groupe qui divisait, à l’époque, trop expérimental, trop cérébral, trop sérieux. Un groupe qui donna naissance à lui seul à un mouvement, le straight edge. Pas des rigolos, les mecs de Fugazi, c’est vrai, mais aujourd’hui, vu de 2020, qu’est-ce qu’ils avaient vu juste, comme ils avaient raison, pensez-vous au fond de vous…
Vous n’êtes pas surpris de retrouver dans Coriky deux anciens membres de Fugazi, Ian MacKaye, à la guitare et au chant, et Joe Lally à la basse, en plus de Amy Farina, la femme de Ian, à la batterie et au chant. Vous avez reconnu le même talent mélodique avec ces petits hooks qui s’inscrivent directement dans le cortex, dès la première écoute, mais surtout ces rythmes élastiques qui, même une fois la furie électrique un peu calmée – on n’a plus 20 ans ! -, mettent toujours aussi facilement le feu aux jambes. Et la voix, incisive au point d’en paraître même intimidante parfois, d’un Ian qui débite méthodiquement votre sacrée fierté d’être américain en tranches, qui en fait de la purée sanglante. Et même la voix joueuse, taquine d’Amy agit comme de l’huile sur ce sacré feu. Et la basse de Joe qui donne toujours autant envie de danser…
Tiens, ce disque de Coriky, vous allez l’acheter chez le petit disquaire au centre-ville, le seul qui résiste encore à Amazon. Et vous le cacherez de tout le monde – des fois qu’on vous prenne pour un dangereux activiste. Vous l’écouterez à fond la caisse quand vous serez tout seul dans votre p… de SUV que votre femme vous a forcé à acheter. Et que vous pourrez enlever ce p… de masque qu’il faut maintenant porter partout et tout le temps. Et vous laisserez enfin la colère vous envahir. Et, même à votre âge, vous changerez de job.
Il n’est jamais trop tard pour bien faire.
[Critique écrite en 2020]
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 4 août 2020
Critique lue 136 fois
5 j'aime
7 commentaires
Du même critique
Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...
Par
le 29 nov. 2019
205 j'aime
152
Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...
Par
le 15 janv. 2020
191 j'aime
115
Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...
Par
le 15 sept. 2020
190 j'aime
25