Staer me fait repenser mon aversion pour les musiques qu’on appelle « math », que je trouve d’habitude trop intellectualisées, froides et précises, trop souvent mortes. Là où je n’avais vu que des spectateurs de leur propre création absconse, Staer réussissent à rester conscients et expressifs alors même qu’ils sont les rouages d’une machine folle à deux doigts de s’emballer.
En élaguant les échos denses autour des instruments, ça devient très lisible : la batterie est machinale, tout en motifs rythmiques serrés et répétitifs, la basse est grasse, bornée et secoue les hanches avec des sons grimaçants, et la guitare déferle sur le bras droit, complètement liquide et insaisissable. Parfois (et c’est ce que je préfère), un saxophone se glisse. Epingles sous les yeux.
Loin d’être robotique, la musique est pleine d’énergie brute : si on considère Staer comme une machine à sons à une seule sortie, on peut voir le dernier morceau Future Fuck comme une furie rock à la fois libre et très bruyante, très dense, explosive par saccades. Mais les couches de sons ont leur logique interne, et en rentrant dans le son, on découvre une structure cadenassée et branlante, agitée par des micro-mouvements retenus : une basse qui respire, un rythme qui se perd, une guitare qui coule dans l’aigu. C’est vivant. On regarde un tableau où se promènent un ver, un loup et un moulin.
Staer est têtu et colérique – ce sont pour moi des défauts chez les personnes, mais des qualités dans la musique, qui parviennent à saisir « les tourbillons de l’être ».