Quatre ans dans la vie d’un homme, cela ne représente que quelques grains de poussière. Toutefois, dans l'existence d’un groupe, ça peut être énorme ! Est-ce pour cette raison que le testament des Screaming Trees s’appelle Dust ? Un nom d’une terrible ironie pour cette formation que le destin a soigneusement tenu à l’écart du feu des projecteurs.
Sweet Oblivion fut leur magnum opus et leur succès commercial le plus important. Un succès néanmoins modeste en comparaison de celui de leurs concurrents. Les Trees étant finalement très simples dans leurs ambitions puisque loin d’être des porte-paroles de la souffrance d’une génération X désabusée. Ce qui pousserait les esprits les moins avisés à les considérer comme une bande secondaire.
Une grossière erreur. Parce qu’ils ont bénéficié de l’insensée créativité du début des années 1990. L’opus de 1992 le prouve et Dust également ! Une parution arrivant trop tard pour bénéficier des dernières flammes d’intensité de la mode grunge, donc peu vendu à sa sortie et cultifié sur le tard, car les tensions entre les membres du groupe ont retardé sa conception. Ce qui provoqua un hiatus à durée indéterminée. Mark Lanegan en profita alors pour sortir un disque solo (Whiskey for the Holy Ghost) et cela lui permit de revenir, plus en forme que jamais, lorsqu’il fut temps de se remettre à écrire avec les frérots Conner. En témoigne ce mélancolique « Look at You ». Un morceau que je ne peux plus considérer autrement que comme la BO d’une partie de jambes en l’air depuis que je l’ai entendu pendant une scène mémorable de la série Supernatural. Cela dit, ces images conviennent bien à la voix lascive de Mark.
Excepté cette ballade rappelant sa carrière en solitaire, Dust est une œuvre finalement très pop dans l’esprit. Plus que le bluesy Sweet Oblivion qui s’en détournait à plusieurs reprises. En vérité, cette sortie permet au quatuor de revenir à un de ses premières amours : la pop 60s. D’ailleurs, l’orientalisant « Halo of Ashes » est possédé par l’âme de George Harrison ! Le reste confirme cette première impression avec ce songwriting très simple mais inoubliable (« All I Know », « Make My Mind », « Witness ») : Dust est l’album Beatlesien des Screaming Trees. Même quand le ton se fait plus rageur (« Dime Western ») ou fédérateur (« Dying Days » et son refrain à vous faire soulever des montagnes), les chansons sont d’une grande efficacité pop.
Ce qui n’est guère surprenant lorsqu’on connaît leurs racines les rapprochant musicalement de la britpop alors en vogue en Angleterre. C’est également pour cette raison que certains se refusent à classer cette musique dans le grunge sous prétexte qu’elle est bien trop optimiste puisque tournée vers un psychédélisme plus doux que cinglé. Seulement, le grunge n’a jamais été uniforme. Le genre prit plusieurs directions et puisa dans d’autres influences à l’instant où il devint bankable. Une logique qui se perpétua jusqu’à son chant du cygne avec une kyrielle d’albums annonçant de nouvelles voies d’évolution. Certains seront très dépressifs (Alice in Chains, Above), d’autres désabusés mais bigarrés (Black Love, Down on the Upside) ou bien dotés d’une sacrée ambition (Fast Stories...From Kid Coma, No Code). Dust représente un de ces chemins. Un chemin qui ne sera pas vraiment foulé par d’autres par la suite. Le post-grunge ayant bloqué son accès avec son cynisme de plagieur.
Par conséquent, la conclusion « Gospel Plow » prend une drôle de saveur. Seul instant où ces types se laissent aller à cette tristesse de fin de règne dans le grunge d’alors. Sa mystérieuse outro confirmant que la fin est proche. A moins qu’il ne s’agisse d’une amertume sur la séparation prochaine de cette bande incroyablement attachante. Quatre ans plus tard, les Screaming Trees n’existant plus.
Quatre ans qui ne pèsent pas lourd sur l’échelle du temps, mais qui peuvent avoir une conséquence importante sur une période musicale. Ces messieurs ayant trop attendu pour pérenniser le succès de leur précédent élan commercial. Et si Dust fut un four, il n'empêche, son intitulé reste injuste pour un disque aussi bon.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.