Lâcheté et mensonges
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On ne peut pas dire que les Strasbourgeois de Hermetic Delight choisissent la facilité : un nom de groupe annonçant clairement la couleur, un nom d’album qui n’aidera que peu à situer le genre de musique, et dont il faudra bien leur demander la signification, même si l’on a déjà compris que ces quasi-vétérans de la scène Rock alsacienne se voient un peu comme une « secte », un groupe de gens bizarres, venus d’origines diverses, et avec un répertoire d’influences très large mais surtout très varié.
S’il est une filiation qui saute immédiatement aux oreilles quand on découvre la voix magnifique de Zeynep Kaya, la chanteuse d’origine turque qui risque bien – et c’est assez injuste pour le groupe – d’attirer le plus l’attention à l’écoute de F.A. Cult, c’est avec Anna Calvi qu’on la voit : un chant lyrique parfaitement maîtrisé, qui élève certains passages de l’album vers le sublime (au hasard, la conclusion de "These Quantic Feelings", qui va chercher un peu de la magie pailletée de la comédie musicale américaine…).
"F.A. Cult" n’est pas un album facile d’accès, malgré l’efficacité de "*Rockastarlari (c’est du turc, et ça veut dire Rockstars, a priori) qui est un single évident, puissant, noisy et mélodique à la fois : c’est que le groupe a pris son temps pour le sortir, cet album, après dix ans d’existence, et qu’il n’a donc pas l’urgence habituelle des premières œuvres qu’un tout jeune groupe produit pour avant tout clamer son existence et marquer son territoire. Ce qui surprend à son écoute, c’est un sentiment très inhabituel de maturité, presque de profonde sagesse : et ce déploiement très élaboré d’atmosphères complexes, riches d’un sens qui n’est pas forcément toujours aisé de saisir, joue un peu au détriment du plaisir immédiat que l’on attend d’un album de rock un peu bruyant, un peu sensuel. « Délice hermétique », qu’ils nous avaient promis, en toute transparence…
Il va donc falloir pas mal écouter "F.A. Cult" pour y trouver son chemin, pour y prendre ses aises : le labyrinthe initialement déroutant du fait de la multiplicité des styles musicaux se transforme peu à peu en une accueillante demeure… pour peu qu’on aime le mystère et le trouble. "Holy Sister", l’un des sommets de l’album, pourrait être suggéré à David Lynch comme bande sonore d’une éventuelle quatrième saison de "Twin Peaks". "A Void", le seul morceau rapide de l’album, démarre en rock velvetien avant d’être inondé par des sonorités électroniques, et s’enfonce dans une transe infiniment sombre, au rythme des percussions impressionnantes de Delphine Padilla, un peu comme s’il s’agissait ici de réinterpréter Suicide en version 2020.
Unravel marque la rencontre d’un shoegaze mélodique à la Slowdive avec le lyrisme vocal d’une Anna Calvi, et c’est peu dire que ça fonctionne impeccablement, nouveau témoignage du savoir-faire et de l’imagination du groupe. "Common Love Square" (clin d’œil à "Bizarre Love Triangle" de New Order, dont on retrouve un peu ici la basse menaçante sur une construction pop moderniste) est la seconde chanson la plus accrocheuse de F.A. Cult, et se termine sur des guitares batailleuses. L’album se termine sur son titre le plus « prog rock », avec une grosse louche de psychédélisme : "How High Is Your High?" s’éternise peut-être un peu trop pour son bien, mais on comprend bien qu’il a été conçu en forme de dissolution spatiale dans laquelle l’auditeur pourra décider de se laisser emporter ou pas.
Ceux qui ont eu la chance de voir Hermetic Delight sur scène parlent de concerts mémorables d’intensité, et on leur fait confiance sur ce point : on imagine très bien ce que des chansons de ce calibre, parfois un peu lissées sur l’album par une production très minutieuse (due à Charles Rowell de Crocodiles), pourront donner en live, une fois la bride lâchée. En attendant qu’un « retour à la normale » nous permettre d’en juger sur pièce, nous avons ce bel album, qui témoigne que le Rock Français a désormais un autre groupe important pour le défendre.
[Critique écrite en 2020]
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Créée
le 24 mai 2020
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