Fake
6.9
Fake

Album de Adorable (1994)

Les losers sont tellement plus attachants que les vainqueurs. Ils ont tout fait pour être reconnus mais sont finalement tombés dans l’oubli. Cela les rend plus sympathiques que la grosse machine huilée qui a tout dévasté sur son passage. Cela les rend même plus humains.


Adorable fait partie de cette race de perdants. Ils avaient plusieurs cartes en main pour cartonner, ça n’a pas marché. Ce n’était évidemment pas un problème de talent, mais de timing et surtout de positionnement.


Against Perfection était un disque merveilleux. Le parfait symbole de cette transition bizarre entre le shoegaze et la britpop. C’était l’album qui récupérait le meilleur des deux styles avec la patte reconnaissable du groupe de Piotr Fijalkowski. Hélas, les transitions ne font pas sexy dans les manuels d’histoire. Il vaut mieux préférer les révolutions quitte à se retrouver avec une musique bancale n’ayant pas su traverser le temps.


Toutefois, quand on replonge dans leur musique, on est obligé de remarquer qu’il y avait tous les germes de ce pop rock victorieux et typiquement Anglais qui allait faire sensation. Fake n’est pas si différent du premier album de Suede, il n’a juste pas la chance d’avoir eu autant de tubes que ce dernier (quoique, le riff et le refrain émouvant de « Vendetta » s’imprime dans la caboche dès la première écoute). Il faut croire qu’être affilié au shoegaze était devenu un gros handicap.


Pourtant, ce quatuor était élégant et accompagné d’un chanteur charismatique. Plus concerné à occuper l’espace visuel qu’à regarder ses pompes. Voici encore un des innombrables exemples d’un détail qui n’avait rien à voir avec la musique et qui a obscurci le jugement de beaucoup de monde. Adorable a pourtant régulièrement écrit de grandes chansons capable de parler à beaucoup de personnes. Ce titre d’album était peut-être une façon de signifier qu’il ne faut pas se fier aux apparences.


« Feed Me » aurait pu remettre les pendules à l’heure si certains avaient réellement écouté cette chanson. Du gros son, un refrain efficace et aussi des guitares aérospatiales… Si Oasis n’était pas aussi prolo, ils auraient certainement écrit ce genre de morceau.
Fake n’est pas si éloigné du premier album dans le fond car il contient plusieurs ballades mais souvent dépourvues de toutes saturation cette fois-ci. « Man in a Suitcase » et « Lettergo » sont belles en particulier grâce à ce coquin de Fijalkowski. Il incarne de manière flamboyante cet inhabituel mélange entre romantisme et virilité avec sa voix rugueuse. Râpeuse comme celle de Richard Butler des Psychedelic Furs. A ma connaissance, Piotr est le seul chanteur à évoluer dans le sillon de feu Ian McCulloch… Et même capable de rivaliser avec lui.


C’est un peu lui qui fait tout le sel de Fake à ce sujet. Les guitaristes étant moins régulièrement inspirés que sur Against Perfection, même si quelques excellents riffs surnagent (« Radio Days »). C’est un disque maussade et gris, puisque nettement moins passionné que leur chef d’œuvre passé. C’est ce qui peut être sa faiblesse comme sa force. Car c’est dans cette atmosphère pesante et mélancolique (« Go Easy on Her ») que réside sa singularité. C’est à croire que la bande avait compris que leur dernière heure arrivait à grand pas… Quitte à exploser une dernière fois avant de disparaître (l’outro époustouflante du, toutefois, un peu laborieux « Have You Seen the Light »).


L’avenir leur donnera raison, car ils se sépareront à peine deux mois après la sortie de leur ultime offrande. Peu importe pour leur label Creation qui trouvera de nouvelles fortes têtes en la présence d’Oasis… Qui ont toujours clamé leur admiration pour Adorable. Quelle ironie.


Vous avez donc compris où je veux en venir. Fake s’écoute très volontiers, mais avec un pincement au cœur.


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
7
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le 7 août 2015

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