Avant d’être un malicieux jeu de mot sur le plus célèbre réseau social du monde, Fakebook était une sortie particulière pour Yo La Tengo. Un album de reprises en versions folk plus précisément. Voilà qui est pour le moins étonnant. En effet, President Yo La Tengo semblait être le point de départ de ce qui allait définir leur musique dans les années à venir : une électricité rageuse côtoyant leurs douces velléités acoustiques. Alors pourquoi prendre ce virage serré vers un pop folk qui n’était qu’une facette, parmi d’autres, de leur talent ?
Comme souvent, l’explication réside dans une décision qui ne dépend pas du groupe. Si la complicité du duo Iran Kaplan et Georgia Hubley n’est plus à démontrer, il en est tout autre de leur bassiste. Un poste régulièrement vacant chez eux qui a été comblé par d’innombrables personnes en seulement quelques années (on peut en compter quatorze si on fait l’historique de leur line up !). La participation du dernier volontaire à l’avoir occupé, Stephan Wichnewski, devenant de plus en plus erratique, il faut que le couple s’adapte.
C’est ainsi qu'est né Fakebook, par accident. Un accident composé de onze reprises et cinq chansons originales. Dont deux issues de leurs précédents disques (« Did I Tell You » sur New Wave Hot Dogs et « Barnaby, Hardly Working sur President Yo La Tengo) et jouées de manière différente. Pourquoi ? Probablement pour faire comme les jazzmen qui reprenaient régulièrement des standards afin de les interpréter à leur sauce. Les natifs d’Hoboken démontrant, une nouvelle fois, cette mentalité à ne pas oublier le passé quitte à en faire autre chose. Même s’il ne s’agit pas de rock (l’EP Nuclear War, en hommage à Sun Ra, ayant depuis confirmé leur attirance envers le jazz).
Bref, on sent un groupe voulant se faire plaisir avant tout (Kaplan avouera plus tard que cet album était surtout un prétexte pour enregistrer avec ses amis Dave Schramm et Al Greller, invités pour l’occasion). Ce qui est problématique quand l’inspiration est absente dans le cadre de reprises. Fausse alerte. Cet objet, hors-série, recèle suffisamment de pépites pour qu’on s’y attarde. Rien que « Can't Forget » et sa guitare country s’avèrent être une introduction parfaite. Une belle chanson où les chœurs de Georgia confirment l’apport décisif que peut être sa voix dans leur musique. Une sensation plus que confirmée sur l’attendrissant « What Can I Say » où elle officie seule derrière le micro. Son chant étant tellement apaisant qu’il chassera les soucis de vos esprits !
L’autre intérêt de ce style d’entreprise, c’est de découvrir des perles méconnues et il n’y a pas de déceptions de ce côté-là. Car on sent que les investigations de Kaplan, lors de ses années en tant que critique rock, ont portées leurs fruits. Le « Here Comes My Baby » de Cat Stevens est une merveille de joie et de mélodie (toutefois en dessous de la version originale). Constat similaire pour « Griselda » et notamment le jouissif « Emulsified » où on peut entendre Iran s’égosiller, à s’en péter les cordes vocales, tout en étant accompagné d’une chorale d’enfant ! Même un titre country tel que « The One to Cry » donne le sourire avec son énergie, alors qu’il serait d’une idiotie insupportable s’il avait été repris par quelqu’un d’autre.
Les compositions étant très influencées par la musique rurale, l’ambiance est forcément laid-back. Les morceaux les plus énergiques se démarquant immédiatement du lot. C’est là où Fakebook se plante un peu. Parce qu’en dehors du touchant « Andalucia », la plupart des pistes les plus lentes sont jolies mais à la limite de l’ennui. Le pompon étant décerné au neurasthénique « What Comes Next » (pourtant chanté par Georgia) dont l’absence d’une mélodie forte se fait ressentir. Et si « Did I Tell You » passe le cap, haut la main, de l’acoustique, il en va autrement pour « Barnaby, Hardly Working ». Dépouillé de l’électricité et, surtout, de son riff magique, ce titre apparaît tout simplement répétitif.
Néanmoins, ce projet penche plus du côté de la curiosité réussie que du ratage. Fakebook étant aussi vital pour le développement de cette petite bande qui monte. Georgia Hubley commence à prendre confiance en elle et Ira Kaplan est décidé à prouver qu’il est, non seulement, un fan de rock bruyant, mais également un songwriter sur qui on peut compter.
Cela signifie donc une chose : la prochaine étape va être décisive pour eux.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.