Sur la pochette épurée de For Organs and Brass, trois parallélépipèdes de couleurs différentes s'imbriquent pour ne former qu'une seule pièce, un carré composite. De ce carré rien ne dépasse, sa forme est pure, ses angles rigoureusement droits. Un monolithe coloré. Représentation abstraite et élégante de la musique qu'il est censé illustrer, celle de la suédoise Ellen Arkbro : un monument à l'architecture massive, régulière et, curieusement, insondable. Faite d'éléments très distincts et aisément identifiables ; un orgue (allemand) et des cuivres (cor, tuba et trombone), cette construction brouille les pistes malgré sa régularité arithmétique et sa rigueur absolue. Sur le morceau-titre qui recouvre la face A de son imposante stature, des couches cuivres graves se succèdent et se superposent à de curieux intervalles d'orgues, légèrement dissonants (pas l'intervalle du diable mais presque). Les longues et lentes nappes sonores - il ne serait pas exagéré de parler de drone ici - se déploient, se retirent et se répètent avec une cadence métronomique, comme soumises à une discipline de fer, celle d'une femme qui en concert présente une apparence au diapason de son oeuvre - coupe au carré méticuleusement taillée, à la blondeur toute scandinave, visage impassible...
Mais à quoi bon exécuter un tel exercice, si rigide ? C'est que, derrière les règles fermes, un reste est formé. Quelque chose qui fait que ces compositions ne sont pas de simples rouages qui tournent sans heurts à l'infini. Premièrement, il y a ces variations si discrètes et infimes qu'elles nécessitent un minimum de recul pour être apprivoisées et appréciées, et deuxièmement il y a ces dissonances volontaires qui ne sont pas sans conférer une spiritualité certaine à un édifice déjà fort hypnotique. Une spiritualité qui forcément évoque un certain La Monte Young (dont elle est l'étudiante, tiens donc), grand maître/gourou du minimalisme à l'américaine dans lequel verse Arkbro ; mais au travers d'une musique moins absolue ou infinie, plus disciplinée et méthodique. Ce qui n'est pas du tout un reproche ; dans ce vaste fourre-tout qu'est le minimalisme, Ellen Arkbro a trouvé (très jeune) une voie qui lui est propre et qui la distingue de ses pairs.
La dernière composition de For Organs and Brass, la plus courte et peut-être la plus belle, judicieusement intitulée "Mountain of Air", laisse même entrevoir la capacité de la dame à concevoir une musique d'une grande légèreté, qui sait s'extraire des vagues plombées qui recouvrent le reste du disque. Il s'agit là de sa première œuvre enregistrée (dans le cadre de son Master si je ne dis pas de bêtises), et moi j'vous l'dis, elle ira loin.