For Their Love
7.3
For Their Love

Album de Other Lives (2020)

C'est avant même de passer à l'âge adulte que je compris, en tant que tout jeune musicien, la force et l'influence d'un lieu sur la musique que l'on joue. Alors même que, au milieu des années 80, je m'échinais à essayer de marquer le rythme d'un fougueux combo de speed-metal (genre que j'allais rapidement abandonner), pouvoir pendant les répétitions m'adonner à ces basses besognes dans un bâtiment (antique fabrique ? Usine vétuste ?) en bois désaffecté, au murs lambrissés et aux poutres imposantes, marqua durablement ma jeune âme de batteur mal dégrossie.


Les groupes qui ont marqué l'histoire de la musique ont bien vite compris ce principe. Des sous-sol de maison rose (Big Pink) aux manoirs à la cage d'escalier résonnante, d'hôtels partis en fumée au bord de lac suisses jusqu'aux toits d'immeubles venteux, quelques uns des albums les plus célèbres de la musique pop-rock de la deuxième moitié du 20ème siècle se sont enregistrés dans des coins atypiques qui ont véritablement influencé les œuvres qui y sont nées, et hantent encore leurs compositions.


C'est un lieu de ce genre qui a permis à Other Lives d'enregistrer son quatrième sublime album, et qui se permet même de trôner, pour prouver son importance, sur la pochette de l'album. Une baraque perdue dans la forêt, retapée par les parents d'un des membres du groupe près de 40 ans auparavant, et qui correspond parfaitement au projet de départ de la génération refondatrice, qui avait fait de leurs week-ends des moments de partage et de musique. Un salon, surtout, largement vitré sur l'extérieur, (parfaitement visible ici) pour lequel je donnerais un bras (euh… non, je suis batteur) une jambe (ah, merde, non plus)…enfin quelque chose d'important, pour y jouer un jour.


Si je suis parfaitement allergique à la notion de redite (et à celle du manque d'originalité) dans le monde de la musique, je suis en même temps sensible à celle du perfectionnement d'une voie singulière. Je considère que certains artistes ont une telle personnalité qu'il leur est souvent inutile d'explorer des territoires qui n'appartiennent pas à leur espace naturel. Après les tentatives légèrement electronisantes de Rituals, le retour du groupe de Stillwater à une forme de fondamental (les architectures sonores de Tamer Animals) constitue ici une sorte de consécration artistique intime.


Folk éthérée, pop céleste, quelques soient les façons dont on peut essayer de définir la signature sonore du groupe, elles peinent à circonscrire l'ampleur du résultat. Les combos de Jesse Tabish sont de complexes élaborations (il suffit de suivre la structure des couplets, refrains et ponts des morceaux pour s'en convaincre) dans lesquelles la soudaine douceur de l'orchestration est immédiatement relevée par la force des paroles (Sound of violence, Cops), quand, au contraire, le maelström tourbillonnant des couches d'instruments est adouci par une ligne de voix limpide (Nites out). Un art du contrepoint en parfait équilibre tout le long de l'album où même les structures de complaintes lancinantes se transforment en escapades sur les flancs arborés d'une montagne inattendue (Dead Language). Sans oublier des poussées parfaitement cohérentes vers les terres Morriconiennes (We wait).


Instrumentation arborescente, vocalises entremêlées entêtantes, architectures complexes et textures luxuriantes, pour des morceaux finalement limpides et mémorables. Je ne suis pas sûr qu'il existe l'équivalent en ce début de décennie dans l'univers de la pop-folk évidente et savante.
Il semblait être de mon devoir de vous signaler la sortie de cet album, au cas où elle aurait échappé à votre sagace vigilance. De dégager les branches autour du faîte de la maison. D'indiquer la clairière dans une forêt de productions informes. Permettre aux voix de chamanes essentiels de planer sur les cimes d'arbres multi-centenaires et les aider à tendre leurs branches vers une voute céleste désormais facilement atteignable.
Et ainsi retrouver les jours perdus et les langages morts.
Hey hey !

guyness
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Vus sur scène: genoux à la peine et pas loin des acouphènes. et Les meilleurs albums de 2020

Créée

le 17 mai 2020

Critique lue 670 fois

37 j'aime

7 commentaires

guyness

Écrit par

Critique lue 670 fois

37
7

D'autres avis sur For Their Love

For Their Love
EricDebarnot
9

Repentance...

Je suis complètement passé à côté de Other Lives pendant des années, sans doute rebuté par leur étiquette "folk" qui agit généralement sur moi comme un repoussoir. J'ai clairement manqué l'année...

le 2 févr. 2021

13 j'aime

5

For Their Love
Raider55
8

Folk arrangé digne de westerns

L'album est à l'image du premier titre "Sound of violence". - le son alterne entre Folk, Country et Pop - on y retrouve ce qui définit un groupe de rock à savoir des textes engagés (globalement qui...

le 5 févr. 2021

For Their Love
newsandpop
8

Très belle découverte

Cinq années se sont écoulées et, pendant cette période, l’industrie de la musique a radicalement changé et il n’y a presque plus que des productions bombardées, pleines d’électronique et faisant des...

le 5 mai 2020

Du même critique

Django Unchained
guyness
8

Quentin, talent finaud

Tarantino est un cinéphile énigmatique. Considéré pour son amour du cinéma bis (ou de genre), le garçon se révèle être, au détours d'interviews dignes de ce nom, un véritable boulimique de tous les...

le 17 janv. 2013

343 j'aime

51

Les 8 Salopards
guyness
9

Classe de neige

Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diffuser son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme...

le 31 déc. 2015

318 j'aime

43

Interstellar
guyness
4

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

le 12 nov. 2014

300 j'aime

141