C'est l'histoire d'un monstrueux oubli, au point de largement prétendre au trophée de plus grand trésor caché musical d’après-guerre. Quand certains réussissent à percer avec très peu de talents (voire aucun), d'autres échouent avec de l'or dans les mains (et dans la tête). C'est ainsi, le talent ne suffit pas toujours pour réussir, la chance et les circonstances font partie intégrante du jeu. L'Anglais Bill Fay en fit l'amer expérience, comme d'autres avant lui, comme d'autres après lui. Alors la perle est bien cachée certes, toutefois elle n'est pas perdue, et c'est bien heureux, car il eut été dommage pour nos oreilles, pour nos coeurs, et pour nos âmes de ne pouvoir jouir d'une telle oeuvre, fut elle inachevée.

Qui est donc Bill Fay au juste ? Peu d'informations circulent sur le bonhomme. Originaire de la perfide Albion, Bill est auteur-compositeur et pianiste de formation, on sait que celui-ci est repéré par le batteur des ex-Them, alors subjugué par les démos du jeune homme enregistrées dans le studio mobile d'un ami. Celui-ci l'aide à signer son premier contrat avec Decca dans la seconde partie des années 60. Fort de ce mariage avec la maison de disque, Bill sort alors deux albums studios : un premier sobrement intitulé "Bill Fay", et un second dénommé "Time Of The Last Persecution".

A peine débutée que c’en fut déjà terminé de la carrière du jeune homme. Deux petits albums et puis s'en va, Decca décide d'abandonner son poulain faute de ventes satisfaisantes (la publicité et la mise en valeur de l'artiste par Decca furent un fiasco également). Exit les contes de Fay. Dés lors l'artiste prend la poudre d'escampette, il se dissout dans l'anonymat et plus personne n'entendra parler de lui, et encore moins de sa musique pendant longtemps. Toutefois, quelques mélomanes avertis, peu nombreux, n'ont pas oublié l'artiste ; des admirateurs lui vouant un réel culte jouent le rôle de gardien de la mémoire de l'auteur, éblouis sans doute autant par ce talent gâché immense que par cette trajectoire de comète l'auréolant de légende, comme Nick Drake, comme Syd Barrett avant lui.

Il fallut attendre cette dernière décennie pour redécouvrir Bill Fay, à la faveur de blogs, de rééditions, et surtout de cette formidable collection de démos enregistrées de 1966 à 1970 et parues sous le nom de "From The Bottom Of An Old Grandfather Clock" en 2004. La musique de ces disques y est viscérale, les morceaux intimes et intenses sont douloureusement beaux, tiraillés entre la dépression et la félicité, à la fois sombres et lumineux. Bill Fay s'y plonge corps et âme, il met sa peau sur la table : des tourments de "Camille" à la déchéance de "The Room", le cœur gros se fracasse tandis que la voix se fait sublime ; sublime et fragile, comme sur "My Eyes Open", où celle-ci ne vient même plus du fond de la gorge, mais bel et bien du tréfonds de l'âme. Les yeux sont ouverts, ils implorent la lumière dans la nuit.

Cependant, les ténèbres font petit à petit place à la clarté, "All Things Must Pass" aurait dit le bon George. La lumière perce à l'horizon mais l'émotion est toujours aussi palpable. "Be Not So Fearful" oscille entre force et fragilité. Sur la corde raide, Bill Fay y abandonne ses craintes et ses regrets, inutiles fardeaux de nos vies, et laisse place à un certain apaisement. C'est alors avec un regard tranquille et serein que l'artiste se permet de contempler les rivages mystérieux et embrumés de "Brighton Beach". La pluie y tombe sans doute, la féerie y est totale.

Viennent ensuite les ébauches pop, dénudés de tout artifice ; la baroque "Maxine's Parlour", les mélodieuses "Just Another Song", "We Want You To Stay" et "Tiny" s'avancent avec majesté, sans apparat, avec une pureté désarmante. Bill Fay n'oublie pas la douceur non plus : "Maudy La Lune", "Strangers In The Fields", "The Garden Song" témoignent d'une tendre candeur. On se rêve alors à imaginer les sommets grandioses que la plupart de ces titres auraient pu atteindre si elles avaient pu aboutir un jour. Hélas, il n'en sera jamais rien.

Bill Fay n'est sans doute pas le plus grand chanteur de la création, probablement pas le plus grand compositeur de sa génération non plus, pas le plus grand auteur, mais il est cependant plus que tout cela réuni. Bill Fay est un être humain, différent avec le malheur de se savoir différent (la magnifique "Parasite Child"), différent avec tous ce que cela implique de force et de faiblesse. Avec une humanité qui déborde dans chacun de ses morceaux. Et rien que pour cela son oeuvre mériterait d'être un peu plus mise en valeur.

Maxine's Parlour
https://www.youtube.com/watch?v=_QBRb-jVnzU

Camille
https://www.youtube.com/watch?v=99mGhAAatqM

Maudy La Lune
https://www.youtube.com/watch?v=CH9krC2X8yU

Parasite Child
https://www.youtube.com/watch?v=z1StcoEj770
Saint-John
8
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Si dans 100 ans la moitié de ces disques n'a pas atteint les 50 notes, je bute le chat

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le 6 sept. 2014

Modifiée

le 2 mars 2014

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