Episode 1 ici : https://www.senscritique.com/album/sleep_dirt/critique/267034691
Episode 2 ici : https://www.senscritique.com/livre/Le_Club_des_hachichins/critique/278869060
Episode 3 ici : https://www.senscritique.com/album/Legend_of_the_Black_Shawarma/critique/283280317
Episode 4 ici : https://www.senscritique.com/morceau/epitaph/critique/289182432
Episode 5 ici : https://www.senscritique.com/album/the_xenon_codex/critique/297223817
Episode 6 ici : https://www.senscritique.com/album/nightclubbing/critique/245696093
Episode 7 ici : https://www.senscritique.com/album/Couleurs_Naturelles/critique/300566933
Episode 8 ici : https://www.senscritique.com/album/unreasonable_behaviour/critique/221157643
Après son essayage Epi regarda les travailleurs terminer l’apprêtage de la Catabomba nouveau nom de la salle trouvé par Frankie, but quelques coups et rentra vers 20h30 dans sa chaumière un sourire béat sur la face et une grosse boîte en carton rectangulaire sous le bras. A l’étage Il vit un rai de lumière sous la porte du Mush et entendit sa voix blanchie par la fatigue de l’étude qui ânonnait les mots d’une langue inconnue. Son frérot se donnait bien du mal pour une soirée de carnaval pensa-t-il mais au fond, lui-même était hameçonné. Il décida de laisser son « brother by heart » travailler tranquillement, œuvrer frénétiquement. Après tout il se faisait plaisir, il n’était pas malade, pas fou, juste fatigué, juste investi...à donf ! Et une fois la soirée passée la vie reprendrait son cours normal. Tout le monde a envie d’être quelqu’un autre, d’échapper à sa peau de tous les jours. Tout le monde a envie d’autre chose ! Mush le chamane totémique incandescent, Mush le gourou des black shawarmas, Mush le sage, Mush le prophéte des paradis artificiels, Mush le savant...Ouais, ouais, ouais, ouais, ouais ! Un sourire doux se dessina sur la face allongé et pâle d’Epi, une chaleur s’installa dans son cœur mais malgré cela la petite boule d’inquiétude logée au creux de son sternum ne voulut pas s’estomper. Il se savait admiré par son p’tit frère, pas envié mais bien admiré. Une différence de taille ! Peut-être que c’est ça l’amour, en tout cas une de ses facettes, c’est sûr. Sur ces pensées apaisantes il trouva son pageot et s’y enfonça jusqu’à disparaitre. Le samedi matin il paressa et trainailla. Mush n’était plus là. Il avait dû quitter la casa un peu plus tôt dans la matinée. A midi il mangea seul en rêvant puis il se mit à lire..sans conviction ! Les mots coulaient, s’enchainaient mais il ne retenait rien. Quasiment à chaque page il devait remonter, relire, revenir, se concentrer, rien n’y faisait. L’impatience le dévorait. Il ne pensait qu’à son rôle, à son texte, à son habit de lumière...à la soirée. Posant le livre il monta dans sa chambre et lança un album de Zappa. Puis il prit la boîte cartonnée rapportée la veille et l’ouvrit religieusement. Son regard pâmé lui interdisait tout mouvement. Pendant de longues minutes shooté à la fusion Zappaienne il admira son costume. Se levant il se mit à loilpé et délicatement il enfila les fringues déviantes. Ce costume était osé certes mais quel plaisir, quel délire, quel amusement ! Cette nuit il ne serait plus Epi. Il quitterait sa peau pour devenir bien plus grand, bien plus voyant...Voyante ? Une drag queen cabalistique enjouée, virulente, vitupérante et certainement enivrée des fragrances de la jeunesse, des amis.es et de la musique. C’était bien la première fois qu’il oserait se travestir d’une façon aussi ostentatoire. Seul il n’aurait jamais pu, même imaginer un tel délire mêlant codes féminins, masculins et ésotériques. Mais là oui ! Attifé comac il était prêt pour réviser son texte. En face de sa psyché ovale, sous l’œil goguenard de Zappa qui s’affichait sur tous les murs, enrobé des volutes parfois atonales du Waka / Jawaka, il commença à prendre des poses. Ce soir il serait un prêtre voire une prêtresse démente, ce soir il serait un apôtre de l’antichrist. Ce soir il vanterait les vertus et les pouvoirs surnaturels de l’antichrist superstar ! Ce soir il serait quelqu’un d’autre !
L’album était terminé. On entendait les craquements du saphir sur le vinyle. Le bras ne revenait pas. Epi boosta fortement le volume sonore pour entendre ces craquements très fort comme s’ils pouvaient modifier sa perception de l’espace, comme s’ils pouvaient installer une fissure dans l’air, comme s’ils pouvaient ouvrir un portail vers le néant. Il avait besoin d’enjamber le mur de la réalité et son catalyseur serait ce son abrutissant. Lentement il prit la boîte posée sur sa table de nuit où se trouvaient les pierres cachées dans le codex velu. La chambre s’imbibait des craquements qui installaient une ambiance pesante, gluante et fade. Calmement il installa les pierres sur son visage. Une au centre du front, les deux autres sur les pommettes. Comment pouvaient-elles tenir aussi bien ? Pour l’esprit si rationnel d’Epi c’était dérangeant. Puis il ferma les yeux de longues minutes. Enfin il déclama tel un prêtre antique. Au milieu des craquements, les yeux fermés il chercha l’intonation, les inflexions psychotiques. Dans sa tête une sinistrose s’installa, faite des sons répétitifs et lancinants d’os qui se brisaient sans cesse. Une marche morne et lugubre. Une fois, dix fois, cent fois, il ne savait plus les mots interdits passèrent la barrière de ses lèvres. C’était une plainte affreuse mais il ne se rendait plus compte de rien juste les cracracra, cracracra, cracracra... Et puis tout à coup, brutalement comme s’il se réveillait d’un long sommeil il retrouva la réalité. Il était 17h cela faisait plus de trois heures qu’il s’évertuait à découvrir la magie incantatoire. A ses pieds, enserrant ses jambes de ses bras lourds Mush pleurait.
« Ça y est frérot, ça y est, tu la tiens, c’est comme ça, tu la tiens bordel de cul, c’est comme ça qu’il faut la dire ! »
Alors Epi ramassa son frère, il le serra fort dans ses bras et ensemble ils pleurèrent un long moment à chaudes larmes. Jamais ils ne s’étaient épanchés de cette façon, jamais ils n’avaient ainsi ouverts les écluses de leurs âmes. C’était comme si le malheur s’échappait de leurs corps pour qu’enfin ils s’apaisent et trouvent une forme de repos. Au-dessus de leurs têtes les craquements avaient dessiné une faille invisible. Une fissure vers l’au-delà s’était matérialisée et au bord du trou bien qu’il n’y eut aucun visage ils sentirent l’amour de leur mère et de leur grand-mère qui les submergeait.
« - Tainpu, frérot, ça fait du bien !
- Que s’est il passé ? Je n’ai rien compris ! dit Epi en baissant le volume la chaine, coupant court aux craquements du skeud.
Aussitôt le monde réel repris, mais l’avaient ils jamais quitté, repris ses droits.
- J’ai déclamé plusieurs heures, reprit-il, et je ne m’en suis même pas rendu compte ! C’est un truc de malade !
Au plafond toutefois une fumée grisâtre stagnait lamentablement comme si Epi et Mush avaient fumé des clopes toute l’après midi.
- Nom d’une bite Mush ouvre la fenêtre. Cette fumée au plafond ? T’as fumé, nom de nom c’est quoi ?
- C’est rien frérot on va aérer, tu as du allumer de l’encens. Regarde ton bureau. Y a des restes.
Mush ouvrit grand la fenêtre. Le Soleil englué de grisaille commençait à chuter dans Paris, mollement, comme un jaune œuf dégouline d’un coquetier. Epi enleva les pierres bleues et les rangea.
- Non, non, bordel je ne m’en souviens absolument pas ! J’écoutais Zappa et puis j’ai collé ces fucking pierres sur ma face et là, là...le trou !
- T’en fais pas Epi. Ecoute calmos ! Tu vas commencer par te dessaper, puis une douche, puis tu prends deux bonnes heures à la cool avec une pitite bibine un ch’ti casse dalle et puis tu fonce à la Catabomba pour commencer à te mettre dans l’ambiance. Tu pourras te décontracter là-bas avec les nouveaux aminches et déguster tranquillou la zicmu d’Akoun !
- Ok, ouais t’as raison ! Je prends ça trop à cœur et moi qui pensait que t’étais un peu zinzin ces temps ci !
Mush grimaça et une lueur mauvaise mais imperceptible s’alluma dans son œil torve.
- Haha tu déconnes, moi zinzin, un peu crevé c’est tout ! Bon allez tu fais ça moi j’ai rencard avec Philibert à 18h et normalement il amène deux p’tites poulettes qui doivent nous aider pour la cuistance, pour préparer la bectance des pantes.
- Ou est-ce que vous préparez les shawarmas ?
- En fait on a tout installé à l’entrepôt. Il y a deux salles dans le fond on y a apporté les ingrédients sauf ma préparation essspécccciaaale qui tient dans un petit seau.
- Tu fais pas de conneries mon frère y faut pas que ce soit trop fort. Pas de casse ! T’es sur de toi ? Personne ne doit tourner de l'œil, personne ne doit calancher.
- Ouais ouais, ouais, ouais, ouais, t'inquiète j’ai goûté ! C’est pile poil, aux petits oignons, sauf qui y a pas d’oignons ! Hahahaha ! Allez relax frérot ! Bon j’y vais là parce que il est 17h15 et en tromé j’en ai pour un p’tit bout. Allez j’te bise mon frangin, mon poteau !
La suite plus tard, ailleurs !