On avait perdu de vue Curve depuis le brillant mais difficile Come Clean et on pouvait craindre qu’il se soit produit un second split suite à un autre échec commercial. Ce qui semblait être une pause était en réalité une période de troubles pour le duo.
En effet, suite aux mauvais résultats de leur 3ème album, Toni Halliday et Dean Garcia étaient en pleine bataille juridique avec Universal pour faire paraitre leur prochain disque. Ils finiront par sortir eux même une compilation d’inédits issus des sessions de Come Clean (elle aussi refusée par la maison de disques) et Gift sur plusieurs petits labels. Cette procédure aura duré deux ans.
Loser un jour, loser toujours. Curve aura donc été un abonné aux rendez-vous manqués car la possibilité d’exploser enfin commercialement aurait pu être possible avec ce Cadeau. Garbage leur volera la vedette encore une fois avec le très FM Beautifulgarbage, mélange du meilleur et du pire de cette période.
Le duo s’est déjà réinventé mais tous ses efforts sont passés inaperçus, la faute au caractère anti-commercial du couple. Cela signifie qu’il était peut-être temps de sauver les meubles pour s’assurer la possibilité de vivre de sa passion. C’est principalement ce qui fait la réussite de Gift, Curve commettant l’exploit de lisser ses attributs rugueux sans perdre son charme et sa force.
« Hell Above Water » est une ouverture éloquente et permet de vite se rendre compte que la démarche d’alléger leur son fut une bonne idée. Voici une chanson d’une jolie efficacité (aussi bien mélodique que rock). La suite confirme de plus belle que cette orientation était la bonne. « Want More, Need Less » prouve même que le groupe aurait pu cartonner sur les ondes avec un refrain terriblement accrocheur et mémorable.
Évidemment, si ce disque se révèle rapidement séduisant, il évite toute facilité grâce à une variété qui montre que le groupe ne veut pas se contenter de bâtir une simple compilation de tubes potentiels. « Perish » ralentit magnifiquement la cadence et se permet d’être accompagné de très belles paroles. Les introductions et les sonorités cybernétiques de « Polaroid » et « My Tiled White Floor » nous remémorent leur ambiguïté qui leur a toujours porté préjudice. Kevin Shields se permet même de faire une apparition en renforçant leur puissance de feu, même si le groupe réussi à s'en sortir sans lui comme sur le final explosif de « Bleeding Heart ».
Certes, Curve ne surprend pas pour la première fois de sa carrière en dehors de sa capacité à s’être adouci. On pourrait donc être lassé par leur musique qui ne propose rien de nouveau. Pourtant, ce n’est pas le cas, car ce qui a toujours fait le charme et le talent du groupe est présent sans s’être affaibli. Le songwriting étant, une fois encore, génial d’efficacité mais aussi de subtilité et Toni Halliday chante superbement bien. Sa voix n’ayant absolument pas changée depuis leurs premiers EPs. Ce qui signifie qu’elle reste ce fantasme vocal plutôt rare dans le rock : savoir être féminine tout en étant dotée d’un caractère bien trempé.
Entre un rival s’orientant avec plus ou moins de réussite vers le mainstream et un trip hop en déliquescence car se transformant en lounge, les Anglais les plus sous-estimés de leur époque choisissent l’entre deux pour dépasser la concurrence sans difficulté.
Hélas, peu de personnes ne semblent avoir eu la possibilité de poser ses oreilles sur ce disque. La faute à une couverture commerciale et critique inexistante. C’est le type d’événement rageant car si les déluges de décibels sur Doppelgänger vous effrayent, il est urgent de retenter votre chance avec Gift. Probablement le plus beau cadeau que ces magnifiques perdants pouvaient faire à ceux qui ne les connaissaient pas.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.