Un groupe peut-il survivre sans sa démarche extrême quand elle constitue une partie de son intérêt ?
Cette question, on se l’ai tous posée un jour ou l’autre quand on écoute une musique marginalisée pour son caractère. Notamment quand cette caractéristique en fait le repoussoir absolu pour une grande partie du monde et quand je dis le monde, j’inclus dedans aussi bien les mélomanes que les gens ne s’intéressant qu’un peu au 4ème art. S’adoucir, c’est risquer de se prendre une série de coup de poignard dans le dos de la part de ses anciens admirateurs. L’exemple très fréquent reste les bandes de la scène metal. Les reproches, plus ou moins légitimes, sont légions de ce côté-là dès qu’on cherche à changer.
De toute manière, si on décide d’alléger son propos, il faut quelque chose en contrepartie pour maintenir l’attention afin de ne pas lasser. Medicine a beau posséder des moyens sonores capables de ridiculiser My Bloody Valentine (au point de les faire passer pour de gentils geeks à tendance fleur bleue), ils ont surtout une capacité hors du commun à savoir écrire des chansons. Des mélodies vocales charmantes et mémorables filtraient régulièrement de leur mur de larsens. Leurs rythmiques, piquées au trip hop, apportaient également une force supplémentaire à leur musique pour éviter qu’on s’enfonce dans la torpeur à l’écoute de leur pop bruyante.
Comme son intitulé ne l’indique pas, Her Highness n’est pas la confirmation de leur puissance, mais plus l’aveu d’un échec : le shoegaze est en train de muter. Soit en se rendant accessible pour toucher le maximum de gens notamment avec l’effet de mode de la britpop en Angleterre. Soit en expérimentant avec la certitude de finir oublié dans l’underground. A l’image des pourtant géniaux Amp, Flying Saucer Attack, Bowery Electric et tant d’autres. La bande ne choisit pas vraiment son camp et c’est ce qui provoquera sa disparition.
Néanmoins, « All Good Things » est une merveilleuse manière pour rentrer dans le vif du sujet. Une bonne louchée de dream pop noisy parvenant à faire oublier qu’ils étaient spécialistes dans le massacre de tympans auparavant. Avec ce titre, les Américains démontrent qu’ils peuvent se permettre de préserver nos oreilles en trafiquant leurs guitares, puisque leur inspiration mélodique est intacte. Quand on sait écrire de bonnes chansons, on peut se permettre d’être moins radical… Encore faut-il que les mélodies réussissent à ne pas se faire éclipser par ses travaux antérieurs.
C’est là où le bât blesse. Parce qu’aussi plaisants soient des morceaux comme le Cocteau Twinesque bruyant « Aarhus » ou « I Feel Nothing at All », ils n’arrivent pas à la cheville des moments les moins bons de leurs premiers albums.
L’écart de qualité entre ces pistes mineures et les meilleurs instants de Her Highness est important. C’est d’ailleurs ceux-ci qui n’en font pas une sortie anecdotique. « Candy Candy » est la parfaite BO d’une partie de jambes en l’air (entendre chanter Beth Thompson à propos de sucreries est bien une chose ne laissant pas un homme insensible). « Farther Down » est armé d’un riff impérissable et même l’exercice de pop intimiste qu’est « Seen the Light Alone » parvient à convaincre. Toutefois, il ne s’agit pas du sommet du disque. C’est plutôt à « Heads » d’occuper cet envieux statut. Près de 8 minutes d’une dream pop hallucinée nourrie par intraveineuse au dub le plus moderne qui soit et plongeant la tête la première dans un final bruitiste jouissif. On ne pouvait pas rêver mieux pour conclure sa carrière.
En effet, Medicine se séparera comme beaucoup d’autres formations du genre. Un autre événement signifiant que le shoegazing était bel et bien destiné à se mettre en apnée pour échapper au regard pendant plusieurs années, avant de revenir en force par la suite grâce au spectre du revival… A la différence que le groupe réapparaîtra plus tôt que prévu.
Cet assagissement n’est donc pas à accueillir avec méfiance. Car même si on a moins la sensation de se faire embrasser par la plus belle fille du coin tout en se faisant verser de l’acide dans les oreilles, Medicine est toujours une valeur sûre… Pour le moment.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.