"Aussi alcoolique que Renaud, aussi bourgeois que Joey Starr"

J’ai découvert le Réparateur en 2011. C’était lors d’un concert au Soap Box à Nancy, j’y allais pour voir Poésie Zéro, aussi à l’affiche ce soir-là. Je ne connaissais absolument pas le groupe, et c’est surpris que je découvre un impressionnant duo guitare-batterie, carré, marrant, efficace et bourrin. Ce n’est qu’après le concert que je me suis intéressé au reste de leur discographie. Je ne les ai jamais revu en live depuis, mais Sortir la tête de la poubelle fait clairement partie des albums que j’ai le plus écouté.
Et nous voilà en avril 2016. Le groupe sort un nouvel album, Heureux et gros. Allez savoir pourquoi, j’ai laissé couler l’affaire, et je ne découvre véritablement l’album qu’en septembre. Avec un sentiment comparable à quand je retrouve une pizza dans mon frigo alors que je croyais que j’en avais plus. J’écoute donc l’ensemble de la galette, impatient comme tout. Une fois, puis une deuxième directement derrière. Puis 10 fois en 3 jours. Vraisemblablement, je kiffe. Plus les écoutes défilent, plus l’envie de gueuler les refrains grandit. Alors, qu’est-ce qu’il fait que ça marche autant ?


En numéro 1 : les textes. C’est de la grosse balle. Le contenu est cru, j’en prends pour preuve l’ouverture du disque : Heureux et gros.



Avoir toujours l'air détendu, deux semaines par an pour déprimer



Sentir le soleil sur mon cul, aller à la plage toute l'année



Et puis crever dans mon maillot, avec mon cancer de la peau



Avec du ketchup sur les doigts, avec une frite entre les dents



Être heureux, heureux et gros



Et puis voir sa vie défiler dans la graisse de la friteuse, avant d'y plonger tout entier.



Là est tout le brio de l’écriture de Thibaud : on te parle de choses très claires et évidentes, assez précises, sans tournure de phrases alambiquées. Les rimes se font rares, le texte est balancé comme lors d’une discussion avec ton pote. Ça pourrait assez vite devenir un texte parodique, ou tout simplement un texte raté, mais que nenni. Ça va droit au but, les textes sont assez courts en moyenne (là, je vous ai balancé 80% de la première chanson).
Pharmacie de garde enchaîne dans la même lignée. Intro guitare, ça explose puis on arrive sur le premier couplet. Ça parle de sur-médication et d’une famille qui vrille à grands coups d’antidépresseurs.


Le premier temps mort arrive avec l’intro de Pas d’avis. Et, chose assez surprenante, c’est la basse qui ouvre le morceau. "Mais enfin, ne s’agit-il pas d’un duo guitare-batterie ?" Tu as raison Jean-Michel Lecteur-Attentif. C’est pourtant bien la basse qui porte la rythmique sur les couplets. Ces même couplets ont des paroles basées sur le même motif : pas mal de répétition, mais c’est pour mieux introduire le final



Je n’ai pas d’avis, je n’ai pas d’ennemis.



Ca tabasse, et c’est l’un des plus beaux moments de l’album.
Arrive ensuite Pas la même merde : premier extrait d’Heureux et gros, révélé avec un magnifique clip. Derrière ses aspects nihilistes (« on s’en fout bien tant que les gens crèvent »), le titre pointe bien du doigt nos petites habitudes dans le confort occidental (« La justice, ça n’existe pas alors on boit pour oublier »). Le refrain me donne paradoxalement une furieuse envie de danser.
Vient ensuite l’une des plus belles pépites de l’album : Tout ce que je croise. Cette chanson est un hymne à tout envoyer chier. C’est un gros défouloir et un énorme plaisir. La guitare bien énervée s’accorde bien avec le texte :



Je prends les commandes de l'avion, Je vais l'exploser sur la montagne



Je vais lui montrer qui c'est le patron, Qui fait des trous dans la
montagne. File moi une clope bordel



J'explose la gueule à tout ce que je croise et ça résout tous mes
problèmes.



Après une telle patate, la pression redescend pour Yannick Noah. La guitare sèche entame le morceau, un peu à la manière de Elle est pas folle de moi du tout. Ce coup-ci, on fait pas traîner, le refrain arrive vite et balance la sauce. Là aussi, la structure des paroles est répétitive –et peut-être un peu moins judicieuse- mais c’est complètement rattrapé par leur efficacité :



Je serai jamais aussi mort que Serge Gainsbourg



Aussi alcoolique que Renaud



Je serai jamais aussi vieille que Brigitte Fontaine



Aussi romantique que Bertrand Cantat



La religion c’est cool déboule ensuite. Vaste programme. On remarquera d’emblée l’immense repompe du Decline de NOFX (ou du moins son intro). Là encore, c’est explicite. Ca me rappelle à fond Didier Super, on balance des blazes, des « bites » et des « culs ». Pourtant, ça fait pas tâche, c’est pas déjà vu, et c’est le kiff. C’est aussi le plus gros texte de l’album, en termes de longueur.
Les chœurs d’Aksel, le batteur, apportent une grosse plus-value et évitent la redondance. En particulier sur le pont. C’est la première fois que j’en parle, mais il y en a un peu partout sur l’album, et je les adore.


Sur cet album, on a pas peur de chanter faux et hors de sa zone de confort. Le titre suivant, Metal Reproduction, en est un bon exemple. J’en parlais pour Yannick Noah, mais le vrai titre acoustique de l’album, c’est celui-là. La guitare marque la noire avec deux accords, on alterne kick et snare un coup sur deux, la basse apporte un peu de gaieté avec malgré un motif un peu trop commun. C’est un des deux titres un peu moyen du skeud. Les paroles sont un peu moins percutantes et l’instru reste au même niveau, ça n’explose pas vraiment, et la fin fait un peu précipitée.
C’est presque dommage que Natation Synchronisée arrive un peu dans ce temps-mort de l’album. Le texte dénote avec tout le reste, c’est pas marrant (parce que ça n’a pas vocation à l’être), les couplets sont même mélancoliques. C’est un titre tellement original qui sort un peu de l’album, j’aurais bien aimé une outro un peu moins abrupte. L’atmosphère de ce morceau est l’une des grandes réussites de la galette.
Balle de match reprend le schéma des Gens beaux de Sortir la tête avec son extrait (de film ?) en début de morceau, la thématique est identique. Ce sont cependant les lyrics les moins réussies de l’album à mon sens. On retombe un peu dans ce que j’ai pas aimé sur Même pas ¼ d’heure de sexe et certains titres de Sortir la tête : un peu trop superficiel et pas vraiment marrant (alors que c’est pratiquement la seule vocation du texte ici). Là où l’humour ou le sarcasme est toujours -justement- utilisé pour critiquer un trait de notre société, on se retrouve ici avec juste un texte qui parle de baiser Scarlett Johannson, et c’est dommage. Ce titre est clairement le bémol de l’album à mon avis.


Heureusement, nos deux Lyonnais en ont encore sous le pied et nous envoie dans les dents un duo de titres qui concluent en force l’album. La première partie, c'est La win. Le riff est bien méchant, ça remet direct en jambes.
L’album se conclue déjà sur un superbe doigt d’honneur : le titre Problèmes. Il me fait penser à beaucoup de gens qui m’agacent et j’ai une furieuse envie de leur gueuler ces paroles au visage.



Et ouais t'as toujours des problèmes, et ouais t'es tout le temps dans la merde



Tu te replonges dedans à chaque fois



T'aimes trop te plaindre, t'aimes trop pleurer



Même ta mère veut plus voir ta gueule



Et peut-être bien qu'elle a pas tort



Peut-être que tu fais chier tout le monde



Faut peut-être se poser des questions.



C’est là-dessus que je vais commencer ma conclusion : ce titre possède toutes les qualités de l’album que j’ai énoncé plus tôt. Pour la petite histoire, en ce moment j’essaye d’écrire des chansons, j’ai pas de style, je débute, mais je retombe assez souvent sur les même thématiques. Pour me défouler, je voulais écrire une chanson à peu près sur le même sujet que Problèmes, et j’aurais vraiment aimé avoir écrit ce titre. C’est d’ailleurs en écrivant que je me rends compte que le Réparateur a pas mal influencé mes goûts et le style que je cherche.
Tout le long de cette critique j’ai beaucoup vanté les textes de Thibaud, mais j’ai cependant conscience que ce sont aussi ces même textes qui pourront en rebuter plus d’un. Ça pourrait paraitre immature, grossier et peu travaillé aux moins habitués, mais c’est à mon sens la patte du Réparateur. Et je trouve que sur cet album, particulièrement ici et bien plus que sur les précédents, le cynisme y est très bien utilisé. A part Balle de match et Metal Reproduction, je trouve que tous les titres ne sont pas juste là pour faire rire. Ok, c’est gras et vulgaire, mais si on regarde bien, c’est pour une raison. Il y a dans cet album des vrais messages et de vrais constats grinçants sur la société qui nous entoure. C’est pour ça que je suis content d’avoir découvert cet album, et que je le recommande vivement, même à ceux qui trouvaient Même pas ¼ d’heure et Sortir la tête trop immature. Je recommande même tout court cet album, si mon énorme influence dans le game de SensCritique (lol, non) peut aider à faire découvrir ce groupe assez peu connu.


Pour boucler la boucle, je vais conclure sur ce que j’abordais en introduction : j’ai découvert le Réparateur en live, et je ne les ai jamais revus depuis. On a ici l’album qui contient le plus de basse. Elle apporte quelque chose de super sur beaucoup de titres, elle est clairement utile (voire indispensable par moments), mais visiblement le groupe continue à tourner en duo. Je serai curieux de voir le rendu live des titres d’Heureux et gros, ou si le Réparateur jouera un jour sur scène avec un bassiste.

Tikoud
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le 24 sept. 2016

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