Pourquoi diable le premier album studio des japonais de High Rise s'appelle-t-il "II" ? Le précédent effort du groupe, un live album intitulé Psychedelic Speed Freaks, du premier nom que la formation avait choisi, porte pourtant fièrement sur sa jaquette l'inscription High Rise. De quoi s'y perdre. C'est que le label les a dissuadé de garder un nom qui vendait à ce point la mèche, et que les japonais facétieux voulurent un peu brouiller les pistes en 86 au moment de sortir leur première galette studio.
Côté musique, il est marrant de noter comme le signale un commentaire youtube, que leur musique est "très en avance sur son temps". Oui et non. Déjà parce que le disque reprend un peu là où les choses s'étaient arrêtées sur "Fun House" des Stooges, saxophone en moins, à savoir un énorme bordel déchaîné complètement furieux et incandescent. D'autre part parce que la scène japonaise a toujours été en avance dans le domaine de la noise et du psyché survolté, en témoignent divers groupes et personnalités géniaux, des gentils Flower Travellin' Band aux plus fous furieux Rallizes Dénudés, Keiji Haino et j'en passe. Enfin, oui, en 1986, cette musique, jouée comme ça, était tout de même pas mal en avance sur l'occident, comme le sont par principe toutes les avant-gardes sur le reste de la production artistique.
Côté formation, rien de plus classique, guitare basse batterie et chant assuré par le bassiste Nanjo Asahiho. Notons que le chant importe peu dans ce genre, il consiste généralement en quelques cris ou talk over à peine déguisé en chant, de toute façon inarticulé ou incompréhensible, qui plus est en japonais. La voix venant se noyer dans des strates instrumentales épaisses et saturées et n'étant là que pour dynamiser l'ensemble, donner un semblant de structure pop aux chansons, une direction en somme pour toute la démesure guitaristique qui va se déchaîner pendant 40 minutes.
Car c'est bien d'un feu d'artifice à 6-cordes dont il est ici question. Les hostilités démarrent avec 50 secondes de cacophonie là encore très stoogienne histoire de donner le ton, et puis en voiture Simone. Si "Turn You Cry" est encore une chanson à peu près normalement constituée à ceci près que le volume est poussé à 11 sur tous les amplis et que tout le monde joue à une vitesse impressionnante, le reste du disque s'enfonce peu à peu dans un déluge d'étincelles, ne ralentissant la cadence que pour les 13 minutes de "Pop Sicle" qui forcément temporise un peu, du moins au début, avec un riff un peu plus identifiable que les autres. Le reste du temps, la section rythmique, solide, joue un motorik sous amphéts qui ne laisse place à quelques breaks que pour faire souffler les musiciens en apportant un peu de changement, tandis que le héros du jour, le guitariste Narita Munehiro, vient faire état de ses exceptionnelles qualités de musicien.
Parce qu'on parle d'un type qui sait ce qu'il fait quand il joue de la guitare. Le monsieur passe l'album à se déchaîner en semi-impros gorgées de fuzz et d'effets psyché-garage bien old school, lâchant avec une opiniâtre régularité des soli qui taisent leur nom à vous en faire blêmir les tympans, le tout sans que vous n'ayez jamais l'impression qu'il y a derrière un guitar hero en train de prendre son pied. C'est que le type rappelle l'air de rien qu'un bon guitariste ce n'est pas forcément un technicien démonstratif, c'est aussi un mec possédé, un de ces gars qui ont le mojo, le truc en plus, le feeling de fou et un sacré groove pour savoir quoi jouer au bon moment et que ça passe crème. Car si durant cet ouragan de quarante minutes on a parfois du mal à différencier les chansons entre elles et qu'on peut se dire avec un minimum de mauvaise foi que "c'est un peu toujours pareil", la dextérité du type nous fait aisément oublier toute notion du temps, puisque ses improvisations électriques nous détachent de la rythmique répétitive qui sert de canevas - même recette que les Rallizes et que tout un pan de la noise psychédélique que l'on pourrait faire remonter aux tontons du kraut allemand CAN (je parlais pas de motorik pour rien les cocos) pour nous amener dans un pur niveau de transe musicale où les décibels font gentiment l'amour à notre cerveau en nous labourant fiévreusement le conduit auditif.
Bref, c'est le genre de disque qui me fait encore penser que je ne sais pas à quoi ressemble un mauvais disque de noise (japonaise) (psyché) mais que je ne vais pas m'en plaindre, en tout cas ne serait-ce que pour le talent de Narita, ça vaut le coup. Aujourd'hui, fort heureusement, des petits occidentaux ont retenu la leçon et si vous voulez des expériences relativement similaires, essayez de vous plonger dans quelques albums des Thee Oh Sees, qui ont un joli sens du bordel organisé et de la déflagration crasse et joyeuse. Chez eux aussi, le chant est souvent accessoire et prétexte aux plus belles digressions instrumentales. Quant à ce High Rise II, pour les morceaux choisis, essayez le très pop "Turn You Cry", les imparables brûlots électriques "Wipe Out" / "Monster a Gogo" ou bien sûr le sommet en forme de crescendo fou furieux du disque, "Pop Sicle".