Être passé des rues du ghetto aux suites luxueuses des palaces n’a pas fait que du bien au hip hop. L'argent pourrit les gens comme le disait NTM à ses débuts et ce n’est pas la nouvelle génération à la Kendrick Lamar (To Pimp a Butterfly ou le prix du plus grand pétard mouillé de ces dernières années ?) qui me fera changer d'avis sur le fait que le genre amorce tout doucement son déclin.


C’est bien pour cette raison qu’aborder cet album de The Disposable Heroes of Hiphoprisy rend amer tant le hip hop semble, aujourd’hui, incapable de proposer une telle œuvre. C’est-à-dire subversive, politique et capable d’argumenter ses discours au lieu de se contenter de pointer du doigt les causes.
Mais ce duo au blase pontifiant n’était pas ce qu’on pouvait appeler une formation ordinaire dans le rap. Son fondateur, Michael Franti, étant issu des Beatnigs. Obscur combo de hip hop expérimental signé sur le label du leader des Dead Kennedys (Alternative Tentacles). Premièrement, ça vous pose un homme question crédibilité lorsqu’il s’agit de se lancer dans le rap politique. Deuxièmement, cela permet de mieux comprendre la singularité de ce projet. Car si on sent volontiers l’influence de la Bomb Squad de Public Enemy (déjà un groupe hip hop un peu à part) dans cette production aux petits oignons, les moyens soniques sont finalement plus proches du rock industriel que du rap le plus classique de cette période. C’est d’ailleurs sans surprise qu’on constate la participation du cerveau de Meat Beat Manifesto, Jack Dangers, dans les crédits.


Pour être le plus proche de ma pensée, Hypocrisy Is the Greatest Luxury est le disque que je conseillerais à des fans de rock ou à des détracteurs du hip hop. Notamment à ceux qui croient, dur comme fer, que cette forme d’expression se résume à faire l’apologie des bagnoles, des gonzesses et l’appel au meurtre des représentants de l’ordre. Chaque morceau pouvant faire l’office d’une thèse. Ils abordent des sujets, divers et variés, tels que la guerre (du Golf plus précisément, sur l’hypnotique « The Winter of the Long Hot Summer »), le besoin de reconnaissance (« Famous and Dandy »), la nourriture qui vous empoisonne à petit feu (« Everyday Life Has Become A Health Risk »), l’addiction à un média nous manipulant (« Television, the Drug of the Nation » et son clip digne d’X-Files), la société de consommation (« Financial Leprosy ») ou encore l’homophobie (« Language of Violence »). Toutes ces paroles, lucides et parfois très dures, ont de quoi faire passer Ice Cube pour un gorille sans cervelle et Public Enemy pour des punks d’opérette. C’est dire si elles sont pertinentes.


Seulement, ça serait oublier que les meilleurs albums de hip hop séduisent en priorité par leur son et leur groove. C’est là que celui-ci fait très fort. Les instrus ayant la qualité d’être efficaces (les basses sont lourdes et mémorables) sans être redondants à l’excès, tout en étant organiques grâce à la participation de plusieurs musiciens (dont le guitariste jazz Charlie Hunter).
Pour ne rien gâcher, le flow rigide, presque robotique, de Franti épouse à la perfection l’atmosphère cyberpunk de cette musique. Son débit de voix, plus parlé que rappé en réalité, remontant aux sources du spoken word de Gil Scott-Heron. Ce qui est cohérent quand on a l’ambition d’aborder des thèmes sociaux et politiques dans sa musique.
Quant au sampling et aux effets sonores, ils sont suffisamment diversifiés pour faire oublier la linéarité d’un style souvent réduit à cela.


A vrai dire, on frôle de près le chef d’œuvre. Cependant, ce n’est pas le cas. A cause d’un « Music and Politics » juste là pour démontrer que Franti est également un bon chanteur. Et aussi de cette reprise du groupe de Jello Biafra. Une brillante idée sur le papier, mais qui, dans les faits, s’avère assez moche. Dommage, car l’intention était bonne. A leur décharge, les disques de rap excellents de bout en bout sont rarissimes.


Hypocrisy Is the Greatest Luxury est malheureusement le genre d’OVNI condamné à n’intéresser qu’un public restreint. Pas assez terre à terre dans le fond, trop en avance sur la forme (on n’est pas très loin du trip-hop de DJ Shadow et « Socio-Genetic Experiment » piétine même les plates-bandes de la dub techno), ses ventes n’ont jamais été mirobolantes.
De nos jours, ça serait la même chose. Car si ses moyens peuvent paraître anachroniques en 2017 (quoique, Death Grips a peut-être été nourri à ce genre de sortie), les paroles, elles, restent tristement d’actualité (remplacez le mot "télévision" par "Internet" sur la piste 3, vous verrez, le résultat est édifiant). Parce qu’elles démontrent qu’en l’espace de vingt-cinq ans, rien n’a changé. Ce qui fait prendre tout son sens à cette conclusion terriblement mélancolique qu’est « Water Pistol Man ».


Qui se porte volontaire pour faire lire son texte à toute la classe politique de notre beau pays ?


Chronique consultable sur Forces Parallèles.

Seijitsu
8
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Créée

le 14 oct. 2017

Critique lue 90 fois

2 j'aime

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