S'il y a bien quelqu'un dans le monde du rock indé qui connait toutes les vertus du lo-fi, c'est bien Phil Elvrum. Le petit prince de la distorsion disperse discrètement sa petite voix fragile et son génie fuzz sur bandes audio depuis le crépuscule des nineties, et It Was Hot We Stayed In The Water est probablement son premier grand album. L'histoire aura retenu son successeur The Glow Pt.2 comme le chef-d'œuvre ultime des Microphones, à raison, mais comme trop souvent celui-ci a tendance à cacher dans son ombre les autres exploits studios du groupe.
Elvrum & compères ont au fil des albums appris à canaliser leurs pédales à effet, et It Was Hot s'avère être le premier véritable succès de leurs tentatives de cohabitation entre songwriting et distorsion. Si les premières écoutes laissent une marque assez étrange - on retient surtout des accords de guitares entrecoupés de drones et de saturations - la curiosité finit par l'emporter sur le reste, et à mesure que l'on découvre les subtilités du disque on se rend compte de l'ampleur des paysages sonores déployés (écoutez "(Something) ver.2", à titre d'exemple). Ce qui frappe également, c'est la cohérence parfaite des paroles - souvent des images abstraites sur des thèmes naturels ou sentimentaux (récurents chez Elvrum) - et de la musique, qui évoluent ensemble ; un changement de thème dans le texte induit souvent un changement d'atmosphère, et vice-versa.
On progresse de surprise en surprise sur un album qui, au détour d'un virage, est capable de changer complètement d'ambiance. Rien que sur la piste centrale du disque "The Glow" (11 minutes au compteur), on passe en moins d'une minute d'une folk-song dépouillée à l'ambiance pastorale d'un chœur poignant. Une minute plus tard le vent se met à souffler en fond, la guitare sèche s'interrompt, une porte aux gonds rouillés s'ouvre, la voix de Mirah (collaboratrice récurrente des Microphones) souffle quelques notes étouffées, et soudain les guitares reviennent, électriques cette fois, gonflant l'espace sonore de leur toute-puissance saturée tandis que le groupe reprend en chœur les textes imagés d'Elvrum. Et alors que ce dernier chante "We sank and we arrived/And found ourselves inside the light", le groupe se met effectivement à "couler", laissant le son s'étouffer peu à peu et s'éloigner comme s'il s'enfonçait sous l'eau.
Phil Elvrum se base sur les standards de la chanson rock mais s'amuse constamment à les déchiqueter en petits morceaux, puis à les recoller dans le désordre en incluant dans ce puzzle électrique ses expérimentations sonores. Des morceaux comme "The Pull" et "Ice" par exemple, se déroulent en deux temps. Le premier démarre sur de légères gratouilles de guitare acoustique et dévoile une folk-song épurée qui se transforme en plein milieu en magma incendiaire de distorsion menée par une batterie saturée (elle aussi). Le deuxième, miroir du premier reprend là où "The Pull" s'arrêtait : des percussion furieuses au milieu d'un déchaînement électrique duquel émerge le duo vocal d'Elvrum et Mirah. Puis, tout naturellement, la chanson se mue en une douce composition accompagnée d'une simple guitare et de quelques notes de xylophone...
C'est là toute la magie de l'art d'Elvrum. La magie d'un songwriter doué, capable de composer les plus belles chansons folk, et l'instant d'après de les atomiser en les noyant dans de violentes saturations. La seule chanson épargnée par ce traitement est la superbe reprise d'Eric's Trip : "Sand".
Sublimer par le bruit, tel semble être au final le plus grand don d'Elvrum. L'apogée des Microphones, c'est bien sur l'album suivant qu'on la retrouvera, sur le fameux The Glow Pt.2, au songwriting plus affiné. Mais en attendant il nous reste ce It Was Hot, témoignage saturé de l'époque où le garage de Phil était encore petit et replié sur lui-même, cocon idéal précédent la transformation des Microphones en Mount Eerie. Mais ceci est une autre histoire...