Milk & Honey
"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...
Par
le 17 oct. 2013
68 j'aime
5
Les canadiens sont-ils plus près des étoiles que nous autres ? Nan parce que Constellation Records, le festival Aurores Montréal, le groupe Interstellar, la chanteuse Cassiopée, etc, ça commence à bien faire. Et voilà cette année qu'une jeune Montréalaise de 26 bougies à peine nous sort une nouvelle poussière stellaire : L'Etoile Thoracique. Ça n'est pas une coïncidence je vous dis, ces gens-là ont un lien privilégié avec les astres, c'est de la triche. Et puis mademoiselle Chloé Pelletier-Gagnon (Klô Pelgag donc) ne verse pas dans l'esbroufe, au delà du décorum elle nous parle vraiment d'étoiles (une en particulier, spoilers) et de leur sexe ; mais ce dont elle nous cause surtout c'est de ces flocons de neige étoilés qui se déposent facétieusement sur ces paysages que Klô dessine pour les aveugles. C'est pas moi qui le dit, c'est elle, mais on comprend assez vite la raison d'être de cette image : Chloé peint avec une sensibilité de surréaliste, joue avec les mots pour créer une faune et une flore impossibles ("Les ferrofluides-fleurs poussent au milieu des champs magnétiques"), des hybrides linguistiques qui chatouillent furieusement l'imagination derrière nos paupières closes. Vous qui entamez L'Etoile Thoracique, vous avez signé pour un voyage tendre, triste et espiègle dans le temps et l'espace.
Mais la première chose qui m'aura frappée dans cette peinture pour les aveugles, ce ne sont pas ces paroles ni même la voix de mademoiselle Pelgag, mais bien ces arrangements incroyables dont elle pare ses compositions. Je n'aurais pas cru pouvoir être encore ému par des arrangements de cordes dans de la "chanson", c'est tellement surutilisé, mais Chloé en a une maîtrise absolue, qui lui permet de les rendre naturellement indispensable aux morceaux qu'ils accompagnent. En règle générale, par définition, l'arrangement vient après, le squelette de la chanson vient en premier, trame mélodique et/ou textes... mais là on a l'impression que c'est l'inverse qui s'est produit ; que ce sont de ces instrumentations parfaites que sont nées les morceaux. La greffe est si impeccable que l'illusion est totale. Ça commence par les chœurs élégiaques de "Samedi Soir à la Violence", le duo piano-batterie qui emporte le morceau vers ces cuivres qui grimpent petit à petit aux rideaux jusqu'à exploser dans la dernière minutes en faisant l'amour à des violons de thriller à suspense. Et ce n'était que le premier morceau, il faudrait aussi causer de la danse du ukulele 12 cordes et de l'orgue de "Les Ferrofluides Fleurs", de ce marimba qui se pose en loucedé en cours de "Les Animaux" ou de celui qui ponctue les couplets de "Les Instants d'Equilibre" avant que le theremin ne vienne envelopper le refrain, de ce drone qui vire au rite tribal en introduisant l'angoisse agitée de "Insomnies", des pompes impromptues de "Chorégraphie des Âmes", ou même de ces accords de piano qui résonnent seuls au milieu du "Musée Grévin". Et si on devait compter les prouesses des cordes seules on n'en finirait plus... citons simplement ces violons qui s'ébattent en réponse aux chœurs sur "Le Sexe des Etoiles" et la montée effrénée du "Bonheur d'Edelweiss" dans les aigus.
Ces arrangements sont aussi ambitieux que fluidement orchestrés. Chloé n'est pas en reste lorsqu'il s'agit de rendre sa pop baroque ambitieuse. On l'a vu au travers de ses paroles qui ne reculent devant aucune association allégorique et de l'habillage somptueux des compositions, mais même la tracklist se révèle être couillue - pardonnez l'expression ; les trois pistes les plus complexes sont posées à la fin. La plus mémorable d'entre elles sans doute est cette "Apparition de la Sainte Etoile Thoracique" ; 11 minutes durant lesquelles on entendre une sorte de méditation intime inspirée des travaux de Steve Reich, débutant par un seul accord de piano répété en subtil déphasage pendant 4 minutes, avant que des motifs de marimba et de moog viennent se greffer avec une infinie douceur. À la douceur succède la tendresse, tandis qu'une voix s'élève de la brume : celle de la grand-mère de Chloé, son étoile thoracique, avec qui elle parle de sa saison préférée : l'automne. Blotti au cœur de cette conversation comme dans un nid douillet en plein hiver, on l'entend se fondre dans l'éther alors qu'une horloge vient clore le morceau, et donc le disque. On en ressort béat, les joues rouges avec l'envie d'aller s'acheter une bouillotte.
Mais gare à celui qui comme moi relancera l'album juste après l'avoir terminé, car il encourt le risque de réaliser que ce "Samedi Soir à la Violence", avec ses "S'il te plaît ne m'oublie pas / Souviens-toi au moins de moi / Si ta mémoire se noie / Sauve-moi, sauve-moi / Si la lumière te voit / Sauve-toi, sauve-toi" parle sans doute de cette même mamie dont l'alias astral orne la pochette. Le morceau, derrière ses envolées fougueuses et ses arrangements puissants, cache donc une plainte déchirant sur l'Alzheimer ("J'les entends toujours tu vois / Tes éclats de rire figés par le froid / Ils me blessent maintenant / Que tu ne te souviens plus comment") aussi triste que pleine d'amour ("Je te rappellerai le nom que tu m'as donnée / Le jour où je suis née"). Inutile de préciser que "L'apparition de la Sainte Etoile Thoracique" n'en est devenue que plus émouvante encore. Ce n'est pas la seule épiphanie que j'aurai vécu au long des réécoutes de l'Etoile Thoracique, la plupart des textes cachent un fond douloureux derrière une espièglerie de surface (cf: "Les Mains d'Edelweiss", "Le Bonheur d'Edelweiss", "La Chorégraphie des Âmes", etc.) mais c'est celle-là qui aura unifié ma vision de l'album. Je vois désormais l'Etoile Thoracique comme un grand recueil d'aventures, de souvenirs sur les saisons, un journal à la structure déconstruite, aux couleurs accentuées, fait pour que Chloé puisse continuer à conter des histoires à sa mamie pour l'aider à préserver se mémoire déclinante.
Un album qui a de quoi faire voyage son auditeur en des territoires ambigus, à travers ses différents niveaux de lecture.
L'autre soir à la violence
Tu as oublié ton nom
Tu m'as dit des choses immenses
'J'implose en constellations'
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Je t'ai donné la vie... mais on ne m'a pas donné le droit de te la reprendre, 2016 en musique depuis ma chaise avec mon fez et mon regard de braise. et Les meilleurs albums de 2016
Créée
le 10 déc. 2016
Critique lue 780 fois
23 j'aime
6 commentaires
Du même critique
"Le plus connu des musiciens folk sixties dont personne n'aie jamais entendu parler." Ainsi s'exprime très justement un journaliste dans un article dédié à la mémoire de Jackson C. Frank, mort en...
Par
le 17 oct. 2013
68 j'aime
5
Cette citation n'est pas de moi, c'est Saitama lui-même, principal protagoniste et « héros » de One-Punch Man, qui la prononce après un énième gros vilain dûment tabassé d'un seul coup...
Par
le 5 janv. 2016
67 j'aime
38
On pourrait être tenté, à l'approche de la musique de Murmuüre, de ne parler que de Black Metal. On pourrait amener, à la simple écoute des guitares poisseuses et saturées ou bien des - rares -...
Par
le 30 sept. 2014
54 j'aime
5