L'innocence, c'est l'histoire d'un coup de foudre. De ceux qui, parce qu'ils sont inattendus, vous laissent les jambes flageolantes au milieu d'une foule en transe dès les premières notes jouées sur scène. Et non, ce n'est pas parce que ces messieurs sont beaux garçons.
Kid Wise est un groupe toulousain à l'anglais très approximatif (on n'est parfois pas loin de la traduction littérale du français à l'anglais – rien qu'« enfant sage », par exemple - on mettra ça sur le compte d'un calembour, je me sens magnanime), ce qui vient nous rappeler que l'on n'a pas tout à fait affaire à un groupe de dream-pop anglais sexy. Mais en fait, ça n'est pas important, même pour le nazillon de la grammaire que je suis. Ce qui importe, pour se plonger convenablement dans cet univers onirique, c'est une bonne égalisation. Bien sûr, je ne vous demande pas de faire comme le kéké du coin venant de s'offrir de nouveaux caissons de basses – mais il en faut, oh que oui !
Passons.
L'ascension et la chute :
C'est là sans doute la thématique principale de l'album :« see the waves that rise and fall, in the ocean I won't let you fall again » (Ocean, #1). L'on part de la surface de l'océan avec toujours la possibilité d'une chute – un Dédale craignant la noyade d'Icare après une chute dont, au fond, il est à l'origine. Que ce soit par les mélodies ou les paroles, l'on est sans cesse ballotté des sommets aux abîmes, dans un entre-deux instable qui mime très justement une absence de sentiment tranché : si les contraires se mêlent en l'homme, il n'y a pas de raisons de ne pas les allier aussi en musique.
Un peu de lumière et d'ombres
Le soleil « the sun in your eyes » (dans Forest) est mentionné en même temps que le constat de sa perte, et c'est cette lumière perdue que la voix profonde (au sens propre – c'est pour ça que l'on ne comprend rien même quand il chante en français : il descend si loin dans son ventre qu'il est obligé d'articuler comme on écartèle !) chante pour faire revivre. Bien sûr, il y a le thème de l'amour qui n'attend plus rien mais qui se déclare quand même, qui s'affirme tantôt dans des rythmes endiablés (Ceremony contraste par là nettement avec le reste de l'album), tantôt dans les mélodies les plus envoûtantes (Blue – « Why should I feel so wrong for the blue of your eyes / Why should I carry on for the two of us ? » ), et parfois avec une espérance obstinée qui rend à cet album la gaieté qui ne peut longtemps s'absenter du cœur de ces « enfants sages » (Child – qui ne porte pas ce nom-là pour rien).
Au-delà des paroles, la partie instrumentale est parfaitement menée : le mélange obtenu par des instruments « classiques » (guitares, claviers, violon) et des samples mixés, le tout soutenu par un batteur intelligent qui ne se sent pas obligé de faire de vagues, s’immisce au plus profond des cages thoraciques de son auditoire pour imposer sa mélodie aux battements des cœurs – c'est là que l'on ressent cette sensibilité exacerbée, mais non écorchée qui se laisse deviner dans chacun des morceaux de l'album. Il n'est en effet pas question de souffrances insurmontables, mais d'une tristesse sublimée qui jamais ne renonce à son passé, résignée devant son sort (L'innocence : « Naître, devenir, disparaître ») mais lucide, jamais nihiliste, chantant l'enfance perdue, recherchée sans cesse, et parfois frôlée dans sa candeur.