C'est, évidemment, toujours difficile d'évoquer ses albums favoris, ceux qui vous ont accompagné durant toute une période de votre vie et auxquels sont attachés beaucoup de souvenirs, le genre de disque qui, pour vous, dépasse le simple cadre de la musique.
Let it Bleed des Stones fait partie de ceux-là.


La troupe à Jagger continue dans la nouvelle direction musicale orchestrée depuis le génial Beggars Banquet, Mick Jagger & Keith Richards sont véritablement aux commandes et, tant sur le plan privé que professionnel, Brian Jones est (très) mal en point. C'est d'ailleurs telle une ombre qu'il traverse Let it Bleed, son âme semblant flotter au-dessus de l'album. Il ne participe qu'à deux morceaux, une fois pour des percussions, l'autre pour de l'autoharpe. Mick Taylor n'est pas non plus totalement installé, il ne joue que sur deux morceaux lui aussi, c'est véritablement Keith Richards qui porte cet album.


Let it Bleed c'est un peu la fin des années 1960, la fin de tout un mouvement dont Woodstock en sera le symbole.
Let it Bleed rappelle automatiquement la mort de Brian Jones (et malheureusement une longue liste suivra) mais aussi il rappelle le drame d'Altamont où un spectateur noir est tué à coups de poignard par un Hell's Angels qui était chargé de la sécurité, ce dernier prétextera que le spectateur avait une arme.
Let it Bleed porte bien son nom, un dur retour à la réalité et la fin d'un rêve avant d'entamer les années 1970.


Rape, murder, it's just a shot away


Le ton est donné dès l'ouverture de l'album avec Gimme Shelter, immense chanson, tant dans les paroles dures de Jagger que le riff imparable et inoubliable de Keith, ainsi que la voix (et quelle voix !) de Mary Clayton. Une composition coup de poing et sous émotion, à vous donner des frissons et instaurant, déjà, une atmosphère mélancolique ainsi qu'un voile funeste sur l'album.


En cette période, et ce disque le prouve, les Stones sont tout simplement dans leur âge d'or (qui a commencé l'année précédente avec Jumpin' Jack Flash pour se terminer à la fin de l'Exile...). Le groupe est en pleine forme, Jagger est tour à tour déchainé, inquiétant ou encore sobre, quand Keith montre quel immense compositeur et guitariste il était, tant dans la création que dans le feeling. Derrière le duo, Charlie et Bill assurent toujours autant, imposant une implacable rythmique au groupe.


I went down to the Chelsea drugstore


Côté composition, en plus de l'ouverture Gimme Shelter, ils ont rarement été aussi brillants avec notamment la magistrale et magique conclusion You Can't Always Get What You Want, avec les chœurs de la chorale du London Bach Choir et ses différents instruments. Le morceau monte crescendo pour atteindre les sommets, l'ambition est folle et le résultat à la hauteur et incroyable, l'émotion est là, la magie aussi. Jagger la chante superbement, évoquant surtout la drogue et interpellant le producteur Jimmy Mr Jimmy Miller.


Oh don't do that, oh don't do that ...


Et que dire avec l'ouverture de la face B, le fabuleux Midnight Rambler, qu'ils sublimeront en concert (notamment dans Get Yer Ya Yas Out! et Brussels Affairs) ?
Véritable monument, c'est un opéra blues mélangeant blues et rock évoquant un tueur sadique (le diable ?). Du riff d'un Keith jouant toutes les guitares à la montée en intensité et en frisson en passant par l'harmonica et la voix de Jagger tout est ici parfait, le sommet d'un groupe jouant en totale osmose.


En plus d'une atmosphère unique traversant l'album, toutes les chansons s'enchaînent sans fausse note, et sont toutes mémorables, à l'image de la mystérieuse Monkey Man et sa diabolique ouverture piano/basse ou Live With Me et sa puissance basse. C'est Keith à la basse sur celle-ci, omniprésent et assurant les manquements de Brian Jones, il joue parfois toutes les guitares, ainsi que le chant sur la magnifique et émouvante You Got Silver.


Lorsqu'il sort la guitare acoustique, l'émotion est forcément au rendez-vous, que ce soit pour cette dernière, pour le country Let it Bleed, nous donnant l'impression d'être dans l'Ouest Américain, ou pour sublimer Love in Vain de Robert Johnson. Il en ressort un aspect mélancolique et triste, tout en sobriété, Jagger pose sa voix avec émotion tandis l'apport de Ry Cooder à la mandoline est superbe. Le groupe s'amuse sur Country honk, version country de Honky tonk Woman (qui ne sortira qu'en 45 tours et c'est bien dommage tant cette chanson est monstrueuse dans son état brut) donnant l'impression d'être dans un saloon. Let it Bleed n'aurait pas été une telle réussite sans les 6èmes Stones, et notamment les habitués Ry Cooder, Ian Stewart ou encore Bobby Keys, qui apportent eux aussi leur pierre à l'édifice.


Immense album, l'un des sommets du World's Greatest Rock'n'Roll Band, Let It Bleed fait parti de ces albums où l'émotion est présente chaque seconde, que ce soit lorsqu'ils jouent un petit blues mélancolique de Robert Johnson ou lorsqu'il monte en puissance et intensité en évoquant un tueur de Boston. Le fantôme de Brian Jones plane sur l'album alors que Mick Taylor n'est pas encore totalement installé, bien accompagnés, Mick & Keith s'occupent de tout et ils ont rarement été, à ce point, inspiré.


Oui, Let it Bleed, littéralement que ça saigne est bel et bien une tuerie.


Face A :


Gimme Shelter

Love in Vain

Country Honk

Live with Me
Let It Bleed


Face B :


Midnight Rambler

You Got the Silver
Monkey Man

You Can't Always Get What You Want

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le 5 nov. 2014

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Docteur_Jivago

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