Contrairement au stoner, rares sont les supergroupes dans la sphère doom. Peut-être est-ce dû à l'assiduité et à l'implication toute particulière des amateurs de la scène qui développent ainsi une très grande exigence à l'égard de ces formations composées de musiciens dont la notoriété est déjà établie.
On constate en tout cas que les quelques supergroupes doom formés au cours de la première décennie du 21e siècle ont déserté le devant de la scène depuis plusieurs années : Teeth of Lions Rule the Divine n'a rien publié après son unique album en 2002, le dernier (et solide) album de Krux date de 2011 et Shrinebuilder est en hiatus depuis la fin de leur tournée de 2010.
L'arrivée de With the Dead dans le doom game ne pouvait qu'être remarquée. L'association de Lee Dorrian, cerveau de Cathedral, à la section rythmique d'Electric Wizard et Ramesses (Tim Bagshaw et l'inévitable Mark Greening) a su répondre aux attentes avec un premier album bien ficelé et équilibré, sans être trop référentiel. With the Dead, dans une approche personnelle a su associer une ligne mélodique moderne à un son doom traditionnel emprunté aux précédents groupes des membres.
L'enjeu était alors de savoir si le projet allait perdurer et si les musiciens allaient être en mesure de transformer l'essai en proposant quelque chose d'aussi abouti après un changement de line-up conséquent : Mark Greening a quitté le groupe pour reprendre Ramesses et il est remplacé par Alex Thomas, éphémère batteur de Bolt Thrower (97-99). Leo Smee a également intégré le groupe pour soulager Bagshaw à la basse et la nouvelle a de quoi ravir les amateurs, dans la mesure où Smee est une valeur sûre (il fut le bassiste historique de Cathedral de « Carnival Bizarre » jusqu'en 2011 et du très bon groupe Age of Taurus).
Un premier constat s'impose lors de l'écoute, With the Dead ne cherche pas à nous surprendre sur ce disque. Le groupe nous a montré sa voie dans le premier album et ne compte pas la transcender sur le suivant. Pour cette raison, la première écoute peut s'avérer décevante. « Isolation », « Egyptian Tombs » ou « Anemia » sonnent alors comme des chutes des sessions d'enregistrement de l'album éponyme. Le chant de Lee Dorrian en particulier, installé dans les mêmes intonations sur les sept morceaux, a de quoi irriter.
Ceux d'entre vous qui aiment leur doom lorsqu'il est innovant seront frustrés. « Anemia », en premier lieu, sonne comme un titre d'Electric Wizard avec Lee Dorrian au chant. Ensuite, même si les parties de guitare sur « Egyptian Tomb » ou « Reincarnation of Yesterday » sont percutantes et bien interprétées, les morceaux manquent de grain et d'incarnation. À l'inverse, le morceau ultime « Cv1 » se démarque nettement avec une ambiance de rouille et de crasse subtilement conçue. La guitare crache et bave tellement qu'on jurerait que Bagshaw a posé des tranches de jambon sur ses amplis. Le dernier quart du titre se voit blindé d'effets au synthé, sons stridents qui renforcent le côté cacophonique et malsain. Une forme de bad trip jouissif dans l'espace, du psyché bruitiste sous méthamphétamines.
Mais alors qu'on pourrait croire que l'album n'est qu'une répétition de morceaux scandés indifféremment par Lee Dorrian et de riffs martelés mécaniquement, après plusieurs écoutes, on se rend compte qu'il y a dans cet opus comme une pulsion de mort perverse, un art poétique rageur et acculé. Un voyage cérébral halluciné prend forme, entre appel à l'aide et insulte.
L'impression de « déjà entendu » des riffs et des mélodies ajoutent à cette fatalité prégnante, à l'idée que quoique l'on fasse, on restera à jamais prisonnier des parois de notre crâne.
« Cocaine Phantoms » incarne bien cet état d'esprit et sonne comme un cri de désespoir adressé à un ciel arrogant. L'album atteint un climax et devient la mise en scène de délires chaotiques, d'idées noires, d'élégies malades.
Toutefois, au-delà de ces fulgurances, il faut reconnaître que l'album peine à convaincre. Bien que la monotonie fasse partie intégrante du propos artistique, sur un disque d'une heure cinq, elle finit par largement plomber l'écoute.
Hormis le morceau de bravoure final avec ses expérimentations cosmiques, les titres ne parviennent pas à se distinguer les uns des autres et finissent par être interchangeables. La puissance et les qualités accrocheuses du premier opus ne se retrouvent pas systématiquement ici. Je regrette alors le refrain wizardien de « I Am You Virus », le riff tapageur de « Crown of Burning Stars » ou encore la tension électrique de « Screams from My Own Grave ».
Les membres du groupe ont d'ailleurs abandonné les samples au début des morceaux. Certains ne verront pas la différence mais, à mon sens, ils contribuent à une immersion immédiate et rendent la première note d'un titre toujours plus surprenante et efficace.
En somme, « Love From With the Dead » se présente comme un album qui peine à imposer une véritable progression et une identité forte. Bien que l'interprétation soit irréprochable et que la masse sonore se révèle terriblement évocatrice, les gimmicks finissent par alourdir le tout et rendent l'album trop ronflant. Et malgré les augustes références (la patte Celtic Frost période Monotheist se ressent sur plusieurs pistes) et une longueur honorable, je reste sur ma faim.
En espérant alors que ce n'est qu'un léger passage à vide et qu'ils reviendront plus intenses que jamais dans leur prochain flirt avec les morts.
http://www.hornsup.fr/a-19970/chronique/with-the-dead-love-from-with-the-dead