C'est à l'aube des années 80 que sort le quatrième album de Renaud : le fendard, hargneux et pétaradant Marche à l'ombre, véritable collector dans la carrière du chanteur. Composé de dix chansons à l'écriture égrillarde, remarquablement construites, Marche à l'ombre reste certainement l'un des albums cultes du grand Renaud, et l'un des plus cohérents dans son agencement et ses engagements. Et peut-être l'un de mes préférés.
MARCHE A L'OMBRE : On commence avec la chanson-titre, formidable texte teigneux bien comme il faut, avec un soupçon d'autodérision fortement bienvenue qui n'est pas sans rappeler celle du cultissime LAISSE BÉTON. La description, proche de la bande-dessinée ou du cartoon, est remarquablement développée par le chanteur qui décline l'univers d'un loubard et du rade qu'il fréquente au travers de quatre couplets à la musicalité agressive mais sans malveillance aucune. Et le recul dont fait preuve Renaud sur son image rend ce tube réellement attachant, et très sympathique à écouter.
LES AVENTURES DE GÉRARD LAMBERT : Une deuxième chanson en forme de légende urbaine, assez jubilatoire et superbement accompagnée de l'instru canaille, aux accents pratiquement morriconiens, d'Alain Ranval. Renaud se lâche carrément dans ce conte fantaisiste, qui s'inscrit dans la continuité de la piste précédente. Un cartoon musical qui n'a rien à envier d'un Gainsbourg ou d'un Margerin. Et la chute en forme de slam, cocasse et dérisoire, est un régal !
DANS MON HLM : Chef d'oeuvre. Une chanson prenant l'allure d'une chronique sociale très complète, s'attardant sur les différentes classes de la société hexagonale. On pense beaucoup à du Reiser pour l'aspect beauf et/ou gros dégueulasse de certains personnages, et l'idée de transformer chaque couplet en véritable vignette BD est proprement géniale. L'un des grands classiques de Renaud, et l'un des passages obligés lors des concerts du chanteur !
LA TEIGNE : En voilà une très belle chanson ! Portrait d'une jeunesse désoeuvrée, ou plus exactement d'un enfant de l'assistance LA TEIGNE est l'une des chansons les plus poétiques et touchantes de l'album. Renaud laisse transparaître une mélancolie certaine, une fragilité jusqu'alors inexistante dans les pistes précédentes. Et la musique, en forme de ballade, laisse un bel écho au sortir du morceau...
OU C'EST QU'J'AI MIS MON FLINGUE ? : Un crachat, un affront, un pavé dans la mare et sur la caboche des pousse-mégots et des sous-fifres. Renaud, dans cette logorrhée assassine envers l'ordre établi, n'épargne rien ni personne, ni les bourgeois, ni la flicaille, ni les médias ni même son public et la gauche socialiste. C'est LA diatribe du chanteur, non moins virulente que les antérieures HEXAGONE et SOCIÉTÉ TU M'AURAS PAS, une chanson engagée, une vraie de vrai ! La musicalité du texte, très agressive, donne le sentiment d'un cri de colère jeté tout d'un bloc sur le papier. Une chanson essentielle.
IT IS NOT BECAUSE YOU ARE : Parodie sentimentale en forme de slow, cette chanson franglaise est une petite drôlerie de derrière les fagots du chanteur... On y sent même le poids de sa tessiture vocale, au travers d'une élocution très maîtrisée et inspirée. La fausse pauvreté du texte cache en réalité un talent énorme... Charles Aznavour n'a pas fait mieux !
BASTON ! : Mise en musique par Michel Roy ( le futur toxicomane de LA BLANCHE ) cette chanson amère et sombre narre trois moments de la vie d'Angelo, jeune désoeuvré cherchant la soupape d'un quotidien peuplé d'ennui, de misère sexuelle, d'autorité publique et de violence familiale... Ce sera BASTON !, morceau anarcho-rock un brin désabusé au texte encore une fois beaucoup plus profond que d'apparence. Un petit classique.
MIMI L'ENNUI : Une sorte de pendant féminin de LA TEIGNE. La musique, très branchée années 80, ressemble à un slow-rock doux-amer assez savoureux à écouter. Le texte et le morceau dans sa globalité sont dans la continuité du précédent BASTON !... Il est bien difficile de ne pas penser à nouveau à l'univers de Reiser ou à celui de Margerin. Une très belle chanson, assez méconnue dans la carrière de Renaud.
L'AUTO-STOPPEUSE : Dieu que ça gratte, dieu que ça grince, dieu que ça pique ! Un texte à la musicalité extrêmement prononcée, qui se paye le luxe d'être très drôle et - in fine - pleine de dérision. Le sentiment que Renaud à écrit cette chanson d'un seul jet... Pas la meilleure mais très bonne malgré tout !
POURQUOI D'ABORD ? : Il fallait bien une dixième chanson à cette album cultissime... Voilà un énorme gag franchement délirant, qui pousse la tessiture de Renaud dans ses derniers retranchements. Vrai-faux dialogue entre un Renaud loubard et un enfant à la voix castre-alto ce POURQUOI D'ABORD ? clôture sur une note guillerette et ironique un album ( presque ) parfait.