Allez, aujourd’hui, je suis fou. Je laisse - très provisoirement - tomber mon rock et ma new wave habituels pour critiquer un disque tout ce qu’il y a de plus alternatif : j’ai nommé "Mêmes Pas Mâles" des Top Boys. Et en plus, je lui ai mis une note honorable. Vous vous souvenez des Top Boys, au moins ? Ce groupe formé autour des présentateurs du "Hit Machine", Charly et Lulu, a eu son heure de gloire il y a une quinzaine d’années (déjà ?), avec des singles comme "Balayer" et surtout "Le feu ça brûle". Et l’eau ça mouille, oui, on sait. Charly et Lulu, j’en connais un paquet qui ne les supportaient pas à l’époque ; moi, ils m’ont toujours fait marrer, et à mon avis ils étaient beaucoup moins bêtes qu’ils ne le laissaient paraître.
D’ailleurs, cet album sonne un peu comme une preuve de ce que je viens d’avancer. J’y reviendrai. Pour le moment, il va falloir effectuer un petit retour dans les nineties, car pour apprécier ce qui reste tout de même une bonne blague de la part de notre duo d’animateurs, il faut forcément la remettre dans son contexte. Musicalement, pour moi, les années 90, ça reste douloureux : ça pue la dance ringarde, la variétoche de Larusso et les boys band infâmes. Culturellement, ce fut le grand plongeon. Et justement, Charly et Lulu, ils en ont vu passer, des daubes, dans leur émission du samedi matin. C’est sûrement ce qui leur a donné l’idée et la légitimité de former, eux aussi, un groupe pour midinettes… Histoire de rire un peu.
Quiconque se souvient du "Feu ça brûle" saura que, bien entendu, "Même pas mâles" n’avait pas vocation à être sérieux (rien que le titre…). On est clairement dans la parodie, et c’est sous cet angle qu’il convient de le juger. La pochette, c’est tout un poème : on croirait une couverture de "Star Club", cette immondice sur papier glacé. Donc, les Top Boys sont formés de quatre membres : les deux qu’on connaît, plus un certain Benji si mes souvenirs sont bons, et le dernier… Désolé, ça me revient pas. Si on regarde de plus près, on s’aperçoit que premièrement, ils ont des postures ridicules, et que deuxièmement, leurs torses nus dévoilent des abdos d’acier qui sont trop WAHOU, genre douze heures de muscu par jour. Je vous laisse le soin de chercher à qui ils font référence sur ce photomontage grotesque. Un indice : c’étaient des garçons qui voulaient être libres.
Vous aurez compris ma théorie : "Même Pas Mâles", c’est du foutage de gueule en règle des boys bands, et pour ça, il mérite toute notre estime. Mine de rien, c’était assez rebelle comme démarche (surtout de la part de types animant une émission musicale), car le consensus était tel dans les medias que c’en était gerbant. Les Top Boys se sont donc infiltrés dans la brèche pour montrer qu’on pouvait vraiment faire gober n’importe quoi à un public décérébré, et pire, lui vendre n’importe quoi (les Nous C Nous séviront aussi par la suite). Pour cela, ils ont évidemment opté pour ce qui fonctionnait le mieux en France, à savoir la techno moisie et les chansons mielleuses des bandes de… boys. De ce point de vue, déjà, l’imitation est réussie : les mélodies sont simplistes, remplies de synthés très datés et lisses à souhait. Pire : elles restent dans la tête. Au niveau des arrangements, des mimiques vocales, là encore, on sent qu’ils maîtrisent le sujet. Mais le plus savoureux, ce sont les paroles. Les trois quarts du temps, elles sont totalement débiles, niaises ou immatures, bref, à l’image de ce qu’elles parodient. Premier exemple avec le morceau d’ouverture, "Balayer" : "Tu as fait pendant des heures bobo à mon cœur (…) Tu m’as dit que j’étais chelou / Que tu me trouvais relou / Que je valais plus un clou / Hiboux choux cailloux genoux…". Subtil. Dans le genre culcul, il y a aussi "La plus belle fille du monde", qui est une ode (un brin malsaine) d’un fils à sa maman, où il lui dit qu’elle n’a pas à être jalouse des autres filles, qu’elle sera toujours la première femme de sa vie ; ou "Les quatre doigts de la main" (aïe), qui singe le discours et les textes policés des boys bands, trop ciblés ados ("ensemble on est copains"), sauf que Charly et Lulu réussissent quand même à leur faire cracher que grâce aux plateaux télé, ils se feront "un paquet de blé". Sinon, dans le registre amoureux, "Si tu me quittes" est franchement drôle tellement les paroles sont cons ("Si tu me quittes, je pars avec toi" ; "Aimer à se cogner la tête contre les murs du parquet" ; "Tu dis ne plus m’aimer (…) Que je ne parle pas assez / J’te rappelle que je suis sourd et muet"). Bon, je sens que c’est trop pour vous, on va faire une pause.
Non, rassurez-vous, j’ai presque fini. Je ne reviendrai pas davantage sur "Le feu ça brûle" et son mythique "Et pour chasser l’ennui / Moi je suce des cailloux". Par contre, "Tous nos amis", impossible de faire l’impasse. C’est pour moi le titre le plus réussi de l’album ; normal : c’est celui où la moquerie atteint son paroxysme, où tous les faux artistes qui ont défilé sur le plateau du "Hit Machine" sont regroupés comme dans un bol de soupe immense (car c’est bien de soupe dont il s’agit). Sur un rythme digne des Poetic Lovers, les deux animateurs chantent avec une ironie palpable un texte qui donne dans le namedropping éhonté. Toutes les daubes de l’époque que l’on préférerait oublier sont citées (2 Be 3, Worlds Apart, Alliage, Boyzone, Peter André…). D’une voix suave, Charly Nestor vante leurs qualités : "Quel est leur secret pour être aussi parfaits / Qu’ils chantent en français, U.S. ou en anglais ?", fait-il semblant de se demander. Et plus loin, on atteint le summum de la raillerie : "Ils font de la gym pour être super musclés / Répondent toujours bon aux questions de la télé / Ça prouve qu’ils sont vraiment très très culturés…". Non, pardon : le summum, c’est que si vous regardez le clip (dispo sur Youtube), vous verrez qu’ils ont même poussé le vice jusqu’à inviter les mecs des boys bands à faire les figurants… Et ils sont venus, sûrement trop abrutis pour saisir le second degré de la chose.
Finalement, "Même Pas Mâles" n’est ennuyeux que sur la fin. Les trois derniers morceaux commencent à se prendre un peu trop au sérieux, avec notamment une version anglaise du "Feu ça brûle", et en conclusion l’espèce d’impro que nous faisait subir le duo d’animateurs au terme de leur émission. Sans intérêt. Pour le reste, dans le style parodique, il laisse une bonne impression. Mais au fait… A force d’évoquer tous ces poètes des nineties, une question existentielle me vient à l’esprit : il devient quoi, Shelim ?