Dante avait prévenu.
D'Achille et de son père, ainsi, dit-on, la lance
Frappait, puis du blessé guérissait la souffrance,
Donnant après le mal le baume souverain.
Nietzche en tirait la loi selon laquelle : ce qui ne tue pas rend plus fort, inoxydable métaphore chère aux citateurs. La bêtise transcende, les gags éculés nous transportent, on oublie le jeu outré, le scénario indigne, les fantasmes d’une Marceau qui s’voyait déjà, danseuse, geisha, comédienne, cinéaste… Avec l’Iphigénie de Racine échouée par ses comédiens sur le rivage d’Avignon, nous disposons depuis cet été d’une calamiteuse jurisprudence. La jauge du non-jeu établie, le duo Sophie Marceau - Pierre Richard pose son ombre gullivernienne sur une comédie de boulevard prenant des accents shakespeariens. Le travesti appartient à la tradition du théâtre : Shakespeare toujours, Marivaux… et du cinéma depuis le légendaire Some Like It Hot, le douteux Madame Doubtfire, le plus douteux encore Tootsie et l’inénarrable Cage aux folles. Le nombre d’échec de ces pantalonnades éculées ne décourage pas et connu quelques variantes : homme-ado (16 ans ou presque avec Laurent Lafitte), femme-homme (Albert Nobbs avec Glenn Close), femme-ado (Camille redouble avec la sublime Noémie Lvovsky), et homme-animal (Didier avec Alain Chabat – drôle de nom pour interpréter un chien -) … A ne plus lire les manuscrits, les éditeurs et les producteurs nous condamnent à revoir très prochainement la même recette à nouveau servie sur la table de nos étés furibonds. L’histoire : pour récupérer la partie manquante de l’œuvre d’un artiste méconnu qui, avant Calder, aurait inventé le mobile, l’escroc Léonard Chounski, (?), alias Léonard Dupont, travesti en Mme Mills, s’infiltre dans le voisinage d’Hélène, éditrice de romans sentimentaux. Le reste n’est qu’une révision des films cités plus haut : voix haut-perchée, pipi debout, amitié entre filles, scène de femmes saoules, gueules de bois, lieux-communs sur l'amour, les romans à l'eau de rose, l'art,… Télérama a sans doute tort d’accuser Pierre Richard d’en faire des tonnes puisque ce sont ces tonnes qui ont fait son succès et feront sa gloire posthume. Un clown reçoit les portes dans le nez, se prend les pieds dans le tapis, pose sur toutes choses un regard surpris, candide et touchant, depuis qu’il a atteint l’âge où il ne tardera plus à être un génie. Un clown qui ne sort pas de son emballage ne risque pas de perdre ses couleurs. Le marketing et la presse ont fabriqué la poupée Marceau qui depuis la Boum : joue faux, parle faux, marche faux, boit faux, fume faux ! Avec des madeleines de supermarchés et la longue liste de leurs colorants et produits de synthèse, difficile d’écrire du Proust et pourtant. Mais au bout d’un moment (l’appréhension de retrouver la canicule joua sans doute aussi), passé l’heure de l’espoir d’autre chose, on guette la bonne soupe qui, une cuillère après l’autre, passe toujours un moment dans une chaude journée écrasée de soleil et de solitude. L'escroc l'était pour la bonne cause. L'oie blanche devient escroc et se... travestie à son tour (j'ai bien failli tomber de mon fauteuil sous l'effet de surprise), méconnaissable ! Ils ne couchent pas ensemble, la morale ne l'accepterait pas (et dieu sait si elle a plutôt tendance à être cool et à laisser filer), mais restent amis, échangent leurs vêtements, complices, riches et drôles. Ah j'oubliais, les méchants sont punis. Au cours de la première demi-heure, j’ai même souri et puis je me suis habitué. Le reste du temps, secoué par ce sourire, exaspéré par le gaspillage d’énergie et d’argent de Mme Mills, une voisine si parfaite, j’ai écrit cet article. Finalement Nietzsche avait raison, ce qui ne tue pas rend plus fort.