Ondulations cybernétiques
Le premier album d’Holly Herndon est une expérience. Attention, loin de moi l’envie de galvauder cette expression si souvent martyrisée. Movement est un disque qui s’écoute fort. Au casque. Ou en faisant vibrer le caisson de basses. Le premier morceau se nomme Terminal et commence avec un frissonnement. Un souffle de bruit blanc qui court de droite à gauche en glissant sur la stéréo. Puis surgit une simple note de basse, un son d’une puissance totale qui gagne progressivement en ampleur. C’est le son de l’univers post-apocalyptique de Terminator. Dans ce paysage désolé viennent galoper des clignotements synthétiques, comme autant de papillons se cognant contre les parois d’un bocal, comme autant de créatures se heurtant à une vitre invisible. En quelques minutes, nous sommes ailleurs, dans un au-delà cinématographique, dans une fin du monde où les machines joueraient avec les derniers humains. On entend vaguement une voix murmurer, à mesure que les coups sourds d’un rythme aveugle cognent dans les enceintes. Peu à peu les vestiges sont balayés. Avons-nous déjà entendu ça ? Pas le temps de se poser la question, ce n’est que le premier morceau.
La piste suivante est la plus accessible. Il s’agit du génial Fade, épopée techno qui scintille dans les ténèbres d’une cité en fusion. Le spectre sonore convoqué par Holly Herndon semble s’étendre à l’infini. De partout surgissent les basses, les claps, les éclats vocaux et même un cri du cœur (« I’ll be there »), répété en litanie comme une bouée de sauvetage dans l’effondrement du dancefloor. En somme, le morceau de danse électronique le plus remarquable de 2012. Et nous n’en sommes qu’à la piste 2.
Breathe suit son patronyme au pied de la lettre. Respiration profonde et apnée, puis relâchement soulagé comme un nageur remontant précipitamment à la surface. Sensation de noyade, soulagement du souffle retrouvé. Mais la fonction vitale est une nouvelle fois perturbée par des spasmes électriques. Comme des androïdes essayant de comprendre en quoi consiste un acte qui leur serait inutile. On prendrait le disque en cours de route, on jurerait un inédit du dernier Scott Walker, tant rien ici ne ressemble à quelque chose de connu. De ces respirations vibrantes d’échos et de larsen nait peu à peu un magma palpitant et grotesque. C’est le chaos primitif, une renaissance.
Retour des basses qui font trembler les murs avec Control And, sorte d’interlude angoissé et fantomatique qui débouche sur les circonvolutions de la chanson Movement. La rousse au regard perçant souhaitait véhiculer une sensualité ultra sensorielle avec sa musique. Nul doute que vous ne trouverez pas plus viscéral cette année. C’est une ondulation cybernétique, un rêve humide pour la Motoko de Ghost in the Shell. On peut sans doute danser, avec nos câbles correctement branchés dans le cortex. Coups de boutoir des basses, langueurs de la voix cachée au fond du mix, frénésie des spasmes électriques. L’érotisme du futur ne sera pas au goût de tous.
Le temps d’un Interlude où des fragments sonores viennent se jeter contre nos tympans en autant d’univers mort-nés. Il est déjà l’heure de la conclusion, Dilato. Le retour de l’humanité qu’on croyait à jamais dévorée par les machines. Des notes a capella, des voix qui se croisent, s’empilent, s’évitent, résonnent en chœur. En une simplicité digne des premiers temps, l’origine d’un monde. Cérémonie secrète à la divinité Dilato ? Rien d’aussi sérieux, fort heureusement. Juste le plaisir d'inventer et de repousser toujours un peu plus loin notre expérience de la musique.