Art qu'a deux failles / heure
Quand en 2004 sort Funeral d'Arcade Fire, c'est tout l'indie-rock qui en ressort semi-traumatisé. Pas qu'il y ait quoi que ce soit de révolutionnaire dans l'approche du groupe, mais la foi vibrante, emphatique du groupe en sa formule, l'énergie enivrante – presque héroïque – de leur musique leur a donné les traits de messies du rock. De quoi susciter des vocations, notamment au Canada vers lequel tous les regards sont désormais tournés. Ainsi lorsqu'en 2015 paraît le nouvel opus de Siskiyou, Nervous, impossible de ne pas penser à l'Arcade Fire pré-Reflektor. La question est de savoir si Siskiyou parvient à faire oublier cette influence pour le moins encombrante.
La parenté est indéniable, ne serait-ce qu'au niveau de la voix. Butler tient en Colin Huebert un bel héritier de son style particulier, sur le fil entre la fausseté et une touchante maladresse, entre le geignard et l'affecté. Dans le lyrisme aussi, Siskiyou trahit ses influences ; Nervous est rempli de crescendos enflammés et de chœurs style chorale. Mais il s'agit de ne pas s'arrêter à cela, ce serait manquer quelques beaux moments de songwriting qui, s'ils ne paraissent certes pas originaux, ne manquent pas d'une certaine beauté fragile. La même beauté qui animait parfois le Deserter's Song de Mercury Rev ou plus récemment les albums de Cascadeur (on retrouvera les similitudes les plus frappantes sur le final de "Babylonian Proclivities"). Siskiyou parvient même à se faire menaçant sur "Jesus In The 70's", qui depuis un riff inquiétant finit par exploser en un formidable agrégat lo-fi de distorsions et de cris. La musique de Siskiyou, malgré ses envolées lyriques, a quelque chose d'intime, et c'est un plaisir que de découvrir de nouveaux détails à chaque nouvelle écoute. Dommage cependant que le disque, si finement composé et arrangé qu'il soit, affiche des faiblesses sur la deuxième partie de l'album. Moins entrainante, plus lente à démarrer, le plaisir d'écoute en prend pour son grade. Il faudra attendre la fameuse fin de "Babylonian Proclivities" pour retrouver la douceur épique dont est capable Colin Huebert.
Alors ce bilan, mission accomplie ou merde ? A moitié dirons nous... S'il parvient par moment à transcender ses influences, Nervous demeure très référencé et on peut passer les trois quarts d'heure du disque à compter les artistes qui nous viennent à l'esprit (une bonne partie de la scène indé canadienne pourrait y passer à l'aise – avec un peu de vaseline). Mais en dépit d'une deuxième partie en demi-teinte, le groupe accouche là d'un beau disque qui en plus de contenir quelques perles constitue en soi une belle promesse ; l'ascension de Siskiyou ne fait que commencer.