En ce moment, je suis plutôt de bonne humeur, alors j'ai décidé de t'emmener en voyage. Me remercie pas, c'est tout naturel. Bon, par contre je vais pas te la faire à l'envers, je suis un peu juste niveau budget. Du coup oublie le Costa Rica, on part en Angleterre, Manchester plus précisément. Oublie pas ton K-Way et fait pas la gueule s'il te plait.
De Modern Love, label mancunien de musiques électroniques, on a surtout retenu de l'année dernière le splendide Faith in Strangers de Andy Stott, ode à la UK Bass au goût doux amer, naviguant entre voix féminines et basslines telluriques. Rainer Veil, énigmatique duo qui signe ici son deuxième EP, ne risque pas de s'opposer à une telle vision.
Tout commence par un souffle quasi-continu, recouvrant l'album comme la fumée des usines de coton recouvrait Manchester au pinacle de la révolution industrielle, lorsqu'elle était encore Cottonopolis. Des paysages mornes, désolés, qui n'évoqueront pour l'auditeur que les trois-huit et les chaines de montage, ou peut-être pour les plus littéraires des œuvres naturalistes. Viennent ensuite petit à petit des réutilisations de tous les mouvements du patrimoine rave du Royaume-Uni. Mais à quel usage : oubliez le peak time et l'insouciance, la jungle tourne certes encore sur les platines (UK Will Not Survive) mais le DJ s'est pendu suite à sa dépression et les ravers sont retournés au travail de peur d'être licenciés. Même les breakbeats se figent, comme dans un parallèle avec les machines des usines. On ne décrit ici même plus uniquement Manchester, mais bien plutôt les espoirs déçus de la classe ouvrière britannique, à qui il ne reste plus que l'alcool en semaine et le football le week-end, les emplois ayant petit à petit quitté les lieux.
Même le titre de l'EP renvoie à cette état d'esprit morose : le brutalisme, mouvement architectural des années 50 à 70 est à l'origine de nombreux bâtiments aujourd'hui considérés comme hideux, frappant les esprits de leur béton lissé et de la répétition de leurs formes. Pas de place pour l'organique, auquel on a préféré les matériaux bruts, donnant à voir un paysage urbain détestable et monotone, véritable Negative Space. De ce point de vue, les quelques longueurs que comporte l’œuvre (Three Day Jag) apparaissent comme cohérentes à défaut d'être forcément passionnantes. Pas question ici cependant de parler d'activisme (n'est pas Einstürzende Neubauten qui veut), mais juste de peindre le tableau d'une époque. Pas en noir à la Soulages, mais juste avec des nuances de gris, à grands coups d'averses et de techno, de brumes et de basses, de bitume et de beats.
Disponible également ici : http://assholeignoramus.tumblr.com/post/117430587214/rainer-veil-new-brutalism