Chuck Schuldiner, on le savait, était un guitariste exceptionnel et un homme avec une vision très précise des choses, son groupe n'étant au final qu'une extension de lui-même, Chuck en étant le seul membre permanent. Mais avec Symbolic, l'homme atteint un autre stade, et s'élève au rang de dieu du death, et du metal en général, au travers d'un album complexe, profond, qui tient du sublime en surpassant le beau. Car Symbolic n'est pas un simple album de death metal,mais il transcende tous les genres, faisant fi des querelles de chapelle, alliant la violence du death à la beauté mélodique du metal progressif et à la rapidité technique du thrash , mais également à l'esthétique et à l'atmosphère de la musique classique. Dès le morceau éponyme, on est transporté dans un autre univers qui n'avait jamais encore été foulé par aucun album, la voix de Chuck résonnant autour de l'auditeur alors qu'il dérive au gré des riffs, comme un corps mort charrié par un fleuve tranquille, débouchant sur des soli qui montent vers des hauteurs stratosphériques, dans une musicalité inégalable. Les mélodies nous entourent comme un linceul ou au contraire les bras de la mère nourricière, charriant une énergie immense, régulièrement teintée d'une nostalgie immense, d'une tristesse insurmontable. Mais la violence n'est pas en reste, et l'on oscille toujours entre cette beauté fragile et cette insécurité due en grande partie à la puissance du travail de Gene Hoglan. Le batteur légendaire fait ici office de bourreau des hommes et de leurs espoirs, créant une oeuvre duale, à l'image de la pochette, représentant deux êtres unis dans une même étreinte et scrutés par un oeil, créature à laquelle rien n'échappe.
Véritable représentation de la condition humaine, il en devient même compliqué d'expliquer avec des mots ce que l'on est immanquablement amené à ressentir au contact d'une oeuvre d'art pareille. Les paroles de Chuck abordent ce que nous avons de plus profond en nous, la perte de notre innocence d'enfant, notre capacité de destruction en nous laissant absorber par nos préjugés et notre volonté de puissance, notre désir de croire pour donner un sens aux choses... La musique de Death est ici une puissante expérience, qui va parfois jusqu'à évoquer le désespoir, tant au niveau des paroles que de la musique quand l'oppression devient trop intense et fait basculer l'auditeur dans l'horreur, l'homme ne devenant plus qu'un fétu de paille vacillant au rythme des coups de boutoir de la batterie. Mais les riffs font toujours ressortir de l'abysse, car ils convoient toujours une part d'espérance, même dans les moments les plus sombres, et permettent à l'auditeur de remonter, jusqu'à la prochaine explosion de violence qui les renverra dans les tréfonds de leur peur. Comme scrutée par un microscope, la nature complexe de l'être humain semble exposée à la vue de tous dans une oeuvre cathartique. Dans chaque riff, dans chaque phrase de cette oeuvre splendide se trouvent l'amour, la haine, la bonté, la colère, la joie et la tristesse, le bonheur et le malheur unis. Dans cet album se trouve chacun de nous, notre vie, nos sentiments, nos espoirs et nos peurs, notre appartenance à une même réalité malgré nos différences.