"Ce que j'essaye de vous traduire est plus mystérieux, s'enchevêtre aux racines même de l'être, à la source impalpable des sensations" Paul Cézanne



Comment aborder un disque de Tim Hecker ? La question peut paraitre futile, mais elle ne cesse de se poser quand il devient question d'écrire sur un des albums du Canadien, tant celui-ci arrive à échapper à toute tentative d'intellectualisation. L'ambient est naturellement un genre qui ne parle pas au cerveau mais évoque bien plus des sensations (parle au coeur voire à l'âme si vous êtes adeptes des formules grandiloquentes), et en membre influent de la mouvance actuelle (on citera également Fennesz, Aidan Baker ou encore Ben Frost), Tim Hecker semble ne jamais se laisser soumettre à l'analyse objective et aux critiques accompagnées d'étoiles, de chiffres, ou de sigles "Best New Music", les récoltant pourtant en quantités phénoménales.


Plutôt que de parler de sa carrière, de ses sorties sur les labels Mille-Plateaux et Kranky ou de ses multiples collaborations, ou encore de vous faire perdre votre temps à expliquer les méthodes de composition de l'album, je vais donc uniquement vous "expliquer" en quoi Harmony in Ultraviolet fait partie de ces disques donc chaque écoute me bouleverse, chaque mélodie me hante, chaque morceau m'impressionne et me renvoie inexorablement au ravissement que j'ai éprouvé lors de la première écoute.


Harmony in Ultraviolet est à la fois une introduction et une conclusion, une immense fresque découpée en mouvements, diptyques, triptyques, et le monstrueux quadriptyque Harmony in Blue. Comme d'habitude, Tim Hecker se fait énigmatique, quasi-cryptique, ne se contentant que de bâtir des édifices destinés à chuter, de lancer de longs drones comme des ponts entres le réel et ce qui pourrait être, faisant évoluer sa musique entre architecture et statuaire abstraite. Dans une sorte de lent mouvement, l'album se déroule, entourant tout votre univers dans ce mélange de noise ambient. Peu de mélodies faciles à discerner, pas de structures rythmiques, uniquement un amas de textures qui évoluent au gré des pistes, qui mènent au relâchement complet. Et c'est lors de ce moment d'abandon que le voyage émotionnel démarre. Loin d'évoquer une gamme de sentiments facilement reconnaissables, et que l'on pourrait se contenter d'épingler tels des lépidoptères sur une plaque de liége, il s'agirait plutôt ici d'une émotion diffuse, toujours dans l'entre-deux, ne se laissant jamais entièrement appréhender. De la beauté baroque de Chimeras à l'océan de synthés de Radio Spiricom, malgré la diversité des sonorités et des ambiances, tout témoigne d'une même sensibilité sous-jacente.


Peut-être que l'album n'est rien d'autre qu'un hommage aux soldats morts que laisse deviner la pochette dans cet halo violet. Mais ce serait rendre bien trop concret quelque chose de si peu spécifique et de si mystérieux. Car si Rainbow Blood et Blood Rainbow se répondent dans une solennité bien visible, Harmony in Ultraviolet est bien trop personnel et évoque parfois une telle violence (ne serait-ce que musicalement quand Hecker déchaine ses tempêtes sur Whitecaps of White Noise) pour n'être conçu que comme un hommage mortuaire. De ce brillant voyage de 50 minutes, reste à la fin une certaine tristesse, mais également une relation équivoque à la mémoire, tant l'album convoque un flot intarissable de souvenirs. Et c'est sans aucun doute en cela que Tim Hecker excelle : chacun y trouvera ce qu'il avait parfois préféré oublier. L'écoute de cet album en devient une expérience singulière, à mesure que des passages se redévoilent.


Sans aucun doute, chaque écoute de l'album m'apportera quelque chose de nouveau. Pas au niveau de la compréhension de l'album, j'écrirais probablement la même chose avec 50 écoutes de plus (peut-être en mieux dit, heureusement), mais au niveau des souvenirs que m'évoquent chacun des mouvements de cette oeuvre singulière. Si il fallait résumer cet album en une phrase, j'écrirais sans aucun doute la formule quasi-prophétique qui servait de titre à son premier album paru en 2001 : "Haunt Me, Haunt Me Do It Again"

Gweilo
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le 20 juil. 2015

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