Newbuild
7.2
Newbuild

Album de 808 State (1988)

[Rétrospective 808 State 1/7] - Acide caustique à Manchester

En 1987, c'est à Manchester, dans le quartier populaire de Hulme que se trouve le disquaire Eastern Bloc, principal quartier général des amateurs de musique électronique, en particulier d'imports américains. Là travaille Martin Price en tant que vendeur et copropriétaire de la boutique. Parmi ses principaux clients, deux hommes qui habitent le quartier : le premier, musicien depuis quasiment dix ans (il joue dans le groupe de jazz-new wave Biting Tongues), passionné par les disques de Kraftwerk, cherche de nouveaux sons à se mettre sous la dent. Le deuxième, impressionné par les disques qu'il entends dans des clubs aussi mythiques que l'Haçienda ou le Thunderdome cherche à tout prix à se les procurer. Ces disques, ce sont les tout premiers morceaux estampillés house et techno, en provenance directe de Chicago et Détroit, deux villes ô-combien importantes dans l'histoire de la musique.


Ces hommes, c'est Graham Massey et Gerald Simpson (qui deviendra bien vite A Guy Called Gerald). Ils font la connaissance de Martin Price en venant acheter des disques. En discutant, ils se rendent bien vite compte de leur envie de faire de la musique ensemble. Simpson, heureux possesseur d'un ensemble de machines estampillées Roland et Yamaha, offre donc la possibilité aux deux autres hommes de venir jammer sur les machines dans le sous-sol de la boutique, que Price à mis à disposition. Là, il s'inspirent des imports house et techno et tentent d'imiter les mêmes sonorités sur le même matériel : des machines Roland (TB 303, SH 101, TR 808 et TR909), à l'époque peu coûteuses car trop peu intéressantes musicalement. La plupart des musiciens reprochaient à ces machines de sonner de manière trop superficielle, et les instruments se retrouvèrent très vite oubliés, abandonnés dans les fonds de tiroirs des magasins de musique, souvent à prix modique.


Définitivement attiré par le côté DIY de cette musique qui ne coûte pas cher à produire (des instruments peu coûteux comme on l'a vu; branchés sur des petites tables de mixage et autres enregistreurs qui forment un home studio rudimentaire), les trois hommes se donnent régulièrement rendez-vous pour jammer des morceaux de ce qu'on va bientôt nommer comme de l'acid house. Sous-genre lancé à Chicago vers 1986 (suite à la publication du maxi Acid Tracks), il est caractérisé par son côté rugueux, minimaliste et les sons distordus du synthé TB 303 évoquant quelque chose d'acide. Au bout d'un certain temps, ils parviennent à enregistrer leurs premières cassettes demos pendant l'hiver 87 sous le nom de Lounge Jays (la plupart de ces titres seront compilés dans Prebuild, compil sortie en 2004). Plus tard, en envoyant des copies de ces cassettes à différents label, le trio décide de se renommer 808 State, en raison de leur obsession pour les percussions cheap mais néanmoins mythiques de la boite à rythme TR 808 de Roland. Finalement, c'est sur son propre label Creed (fondé dans les bureaux de Eastern Bloc) que Martin Price lui-même publiera la première sortie officielle de 808 State, à savoir l'album ici présent, Newbuild.


Petit succès à sa sortie en septembre 1988, l'album est rapidement vu comme un disque novateur et premier témoin d'un phénomène qui a, d'une certaine manière, explosé à la tête des mancunien pendant les mois précédant la sortie du disque, à savoir l'explosion de la musique acid house pendant ce que les gens ont alors appelé le second "Summer Of Love". C'est l'un des premiers disques du genre à être produit sur place, alors que 80% de cette musique était toujours autant importée par les DJs depuis les États-Unis.


Comme l'a si bien fait remarquer Graham Massey par la suite, ce n'était pourtant pas le côté dansant et festif de la musique qui intéressait 808 State à cette époque, mais véritablement le côté mental et, faute d'autre mot, bizarre de cette musique à la sonorité si particulière. Comme il l'a noté, c'était comme si pendant le trajet d'un continent à l'autre, quelque chose d’intrinsèque à cette musique s'était métamorphosé. Newbuild, qui comporte sept morceaux pour une durée totale d'environ 40 minutes, est un véritable trip mental caverneux, malsain, empli d'erreurs rythmiques (la totalité des sons de l'album étant synchronisés par des impulsions provenant des boites à rythmes, non pas par des ordinateurs encore trop coûteux à ce moment pour le groupe) et globalement complètement barré. Le disque à cependant pu faire son effet "OVNI" totalement novateur car la formule "acid house à l'anglaise" n'avait alors pas encore eu le temps de s'imposer sur la scène musicale. De plus, un disque enregistré entre l'hiver 87 et le printemps 88 n'avait pas encore pu s'imprégner de l'atmosphère si festive du "Summer Of Love". Par conséquent, Newbuild fût relativement acclamé par la presse spécialisée et le public, en particulier celui des clubbeurs férus de ces nouveaux sons synthétiques.


Dans le même temps, la "grande" presse musicale préférait encore se tourner vers les Stone Roses ou les Happy Mondays, alors que 808 State imposait un style de musique assez novateur, dans un esprit DIY évoquant les années punk de la décennies précédente, sans toutefois avoir recours à la guitare.


Des premières mesures de "Sync/Swim" jusqu'au dernières de "Compulsion", vous êtes absolument certains de pouvoir vous embarquer dans une véritable aventure, relativement éprouvante pour le néophyte mais néanmoins véritablement fascinante, de par son usage étonnant d'instruments encore considérés à l'époque comme "bas de gamme" (sachant que de nos jours le coût d'une TR 808 peut avoisiner celui d'une petite voiture, voir plus) ou bien la façon tellement inhabituelle de structurer les morceaux, évoquant une sorte de méli-mélo sonore sans début ni fin. Situé à mille lieues de la scène électronique britannique qui se faisait alors (encore globalement tournée vers la synthpop), Newbuild a d'une certaine manière inspiré toute la scène électro de la décennie suivante, à commencer par Aphex Twin himself qui sera d'ailleurs le principal vecteur de la réédition du disque au début des années 2000 par l'intermédiaire de son célèbre label, Rephlex. Si on lui excuse certains samples un peu kitsch (le "bullshit" répété à foison sur "Dr. Lowfruit", les gémissements féminins sur "E Talk") et ses erreurs de mixage, Newbuild sonne encore de manière drôlement fraîche et novatrice, et ce même trente ans après !


Globalement, on ne peut que saluer ce premier disque d'un groupe qui annonce le futur grand succès qu'il va rencontrer ainsi que sa position de pionnier dans sa manière de fusionner les genres et les styles...


La suite au prochain épisode : Quadrastate

Blank_Frank
8
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le 13 nov. 2018

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