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6.5
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Album de The Necks (1990)

Après un premier album plantant élégamment (mais un peu trop sagement) le style et la formule archétypique des Necks, le trio Australien, goguenard, opère dès l'année suivante un virage à 180°. Alors qu'on les croyait vissés à leurs fresques d'une heure, leurs variations méticuleuses, leurs développements sobres et subtils, les voilà qui étalent une tracklist de 6 morceaux de 5 à 28 minutes, qui enchainent les overdubs, surfent sur des styles variés, sortent des gimmicks inattendus de leurs poches qu'on croyait trop classieuses pour manger de ce pain là (des slaps de basse, vraiment?)... bref se la jouent iconoclastes afin de marquer le coup : gare à qui pensait pouvoir prévoir à l'avance de quel bois se chaufferaient leurs méfaits futurs en studio, sur la seule base d'un premier album très classique. Les Necks ont le pied lourd sur la pédale d'embrayage et passent vitesse sur vitesse, au risque de caler de temps à autres.


Au moins, le résultat est fun ! Le trio est d'humeur joueuse sur ce Next déluré et le fait savoir dès ses 15 premières secondes, qui sont en fait les mêmes 15 premières secondes que Sex. À peine a-t-on eu le temps de se demander si l'on ne s'est pas bêtement gouré d'album que le groupe met promptement fin au trompe-l'œil (les blagues les plus courtes...) et fait s'entamer "Garl's", un morceau bien plus étrange, avec une ligne de contrebasse en cul-de-sac, des impros de piano autistiques et dissonantes et une batterie distante et perchée. Ça groove, mais ça groove chelou. Le ton est donné, les Necks seront... différents. "Nice Policeman Nasty Policeman" est traversée de part en part d'une putain de guitare funky (tandis que la basse martèle la même note ad libitum et que le batteur plante une rythmique ternaire qui ne bougera plus), et ce n'est encore rien face au morceau titre. Ce "Next" de 10 minutes rend le groupe proprement méconnaissable : voilà les fameux slaps de basse promis plus haut, les samples sont légion, la batterie délivre une perf catchy et festive (une boîte à rythme semble l'accompagner, ou bien sont-ce encore des samples?), la guitare est de retour pour jouer des thèmes smooth et enjoués... et derrière le piano se démerde comme il peut pour avoir voix au chapitre. À ce stade c'est même plus du calage, les Necks ont perdu les pédales (de frein), leur propre mère ne les reconnaîtrait pas. Et puisqu'ils ne sont plus à un pied-de-nez près, les voilà qui entament le bien-nommé "Jazz Cancer", qui prend au pied de la lettre l'étiquette la plus fréquemment forcée sur leur musique inclassable pour proposer ce qui demeure effectivement, encore aujourd'hui, leur pièce la plus jazz. Et aussi la plus banale... je ne sais pas dans quelle mesure Buck, Swanton et Abraham comptaient se moquer du jazz ou bien le célébrer (ou ni l'un ni l'autre), mais s'il est évident qu'ils s'amusent comme des petits fous à se faire leur impro classic-jazz, tout cela n'est pas de la première fraîcheur et m'apparaît vite comme un gâchis de leur talent, ce qui m'empêche de trouver ça un tant soit peu palpitant.


Et c'est un peu le problème de ces morceaux qui tentent un petit peu tout en même temps sans se soucier du qu'en-dira-t-on ; quand bien même le sentiment de fun est très bien retranscrit tout au long de Next – le moins qu'on puisse dire c'est que je ne m'emmerde pas en l'écoutant – sortir de leur intemporelle formule a un prix : le temps. Ces trois instrumentaux déchaînés ont pris un sacré coup de vieux (surtout "Next") avec les années, c'est très daté 90's et pas dans le bon sens. Sex, sorti un an plus tôt, a bien mieux résisté au passage du temps. Et si cette incartade unique (dans une discographie qui après cela se structurera d'une façon plus cohérente et "sérieuse") leur a sans doute fait beaucoup de bien, il reste qu'ironiquement les morceaux les plus réussis de ce sextet sont les plus "classiques" (au regard de leur formule habituelle). Il y a bien sûr ce "Gnarl's" intrigant, mais aussi "Pele" et ses 28 minutes au compteur, qui prend son temps pour démarrer mais s'achève en apothéose pianistique galvanisante et du meilleur goût. Et pour clore ce triptyque du bonheur, il y a ce "The World At War" qui répète son thème mélancolique ad libitum, ajoutant des cuivres bienvenus pour une sensibilité qui n'est pas sans rappeler le Talk Talk dernière période. Et votre serviteur de fondre pendant le quart d'heure qui lui est alloué.


Notre prochaine étape dans la discographie des Necks sera certes moins extravagante et excentrique mais soyez rassurés, elle aura fait en sorte de conserver quelques twists bien sentis dans le revers de son veston. Peut-être pour déboucher sur la première franche réussite du trio ? Oups, spoilers...

TWazoo
6
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Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste La quête à Necks [Portrait d'une discographie #2 - The Necks]

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le 22 févr. 2017

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T. Wazoo

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