Créer une musique largement inspirée de l'univers esthétique du cinéaste Andréï Tarkovski, voilà un pari diablement osé et magistralement remporté depuis quelques années par François Couturier et son quartet. Où quand des fans du regretté cinéaste russe transcendent leur passion pour faire oeuvre créative signant à la fois respect des mondes du réalisateur comme véritable porte ouverte à même de prolonger ces déambulations extraordinaires.
Quand on feuillète le journal de bord du cinéaste, à nul moment il n'est mentionné son amour du jazz, ou plus particulièrement d'un jazz contemporain qu'ECM a largement contribué à faire apparaître depuis la création du label par Manfred Eicher en 1969. Pas plus que dans ses films où l'on voit plus apparaître un amour immodéré pour la musique classique et l'oeuvre de Jean Sébastien Bach ainsi que la musique électronique. Quitte à ce que les deux s'entremêlent génialement. C'est par exemple le "Ich Ruf Zu Dir, Herr Jesu Christ" (BWV 639) à l'orgue qui revient comme leitmotiv mélancolique du film Solaris (1972) sous une forme subtilement retravaillée par Edouard Artemiev (astérisque 1). Ou bien l'ouverture grandiose de la passion de Jean (BWV 245) dans Le miroir (1974) pour une des scènes les plus importantes du final (astérisque 2).
Mais rien n'empêche de penser qu'on pourrait transposer l'univers d'un créateur en musique en restant fidèle aux thèmes et principes qui ont régi son oeuvre.
Et c'est ce à quoi Nuit blanche s'emploie avec une certaine magie.
Couturier et les autres musiciens travaillent le matériau sonore en deux axes principaux, compositions improvisées courtes et travaux écrits méticuleusement et pouvant aller à plus de 10mn (Urga... comme le film de Nikita Mikhalkov oui). Dans les deux cas, l'immersion est directe et plus d'une fois on ne peut en effet s'empêcher de penser au travail de Tarkovski, que ce soit dans les titres (dont un Soleil sous la pluie qui, pour le cinéphile mélomane, évoque direct les scènes de pluie de ses films), les sonorités et impressions véhiculées (ce léger souffle et ces petits bruits sur les improvisations courtes, comment ne pas penser aux bruits et voix étranges issues du Sacrifice (1986) ?), la pochette (un polaroïd de Dakus le chien du réalisateur !), le ressenti final, planant et mélancolique, entre jour et nuit, pluie et brumes.... à l'instar des climats et matières (boue, pluie, eau, humidité) qui imprègnent toute l'oeuvre du cinéaste.
Mais on peut aussi n'avoir jamais vu un film de Tarkovski, ne pas savoir qui c'est et apprécier ce disque directement à l'écoute tant la beauté qui s'en échappe vous happe direct pour ne plus vous laisser. L'un des meilleurs disques de cette année 2017, une évidence.
François Couturier - Piano
Anja Lechner - Violoncelle
Jean-Michel Larché - Saxophone soprano
Jean-Louis Martinier - accordéon
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(*) Edward Artemiev / Eduard Artmeiev suivant comment le compositeur est traduit. Vive la russie...
(**) Effet visuel et sonore qui me transforme à chaque fois en éponge, notons bien.
A noter que les éditions Milan ont sorti une excellente compilation des musiques électroniques (electro-accoustiques) d'Artmeiev pour ses travaux avec Tarkovski.