Peu de gens connaissent encore Olivier Rocabois, qui se présente sans honte et avec de l’humour comme un « musicien pop breton autodidacte ». Mais tout ça risque de changer, suite à la sortie de son album "Olivier Rocabois Goes Too Far", un objet aussi délirant que délicieux, d’une folle ambition oserait-on dire si Rocabois n’était pas, visiblement, un vrai modeste. Car ce disque va nous interdire désormais de parler de « pop anglaise baroque », à moins d’y ajouter un trait d’union du genre « anglo-bretonne… » : on trouve en effet sur cet album à la fois grandiose et charmant aussi bien des relents de Divine Comedy que de McCartney, en passant même par XTC. Et des sonorités jazzy, et un peu de « classique » peut-être aussi ?


S’ouvrant sur le doux bruit des vagues (bretonnes ?), "Olivier Rocabois Goes Too Far" nous captive immédiatement : la belle voix douce de Rocabois, la conjugaison parfaite d’ambition « classique » avec une mélodie subtile, le texte qui est tout sauf anodin (« The sound of the waves / helps me take the pain away / You look as if you were born yesterday » – Le bruit des vagues / m’aide à soulager ma douleur / Tu m’as l’air d’être né hier), et surtout cette ambiance à la fois sophistiquée et porteuse d’émotions directes, qui évoque immanquablement le Neil Hannon de "A Short Album about Love". Une similarité, ou plutôt une conjonction de styles et de conceptions de la musique, que confirme le baroque – et léger – "High as High", un titre qui nous offre d’ores et déjà l’opportunité d’affirmer qu’on est bien loin ici du territoire de la « pop hexagonale », quoi que ce soit que ce terme signifie d’ailleurs : Rocabois, loin de l’héritage franchouillard (nous ne citerons pas de noms de musiciens souvent exagérément encensés chez nous, simplement parce qu’ils sont français…), vise la perfection formelle qui a rendu fou un Brian Wilson, mais la tempère avec suffisamment d’humour et de fantaisie ("In My Drunken Dreamscape") pour que tout cela ne sombre sous le poids de ses ambitions.


Rendre hommage à Ringo Starr sur "Arise Sir Richard", qui sonne plutôt – mais c’est logique – comme une chanson – avec clavecin ! – que McCartney aurait composé pour un film des Monty Python (« I*nstant classic !* » s’exclame-t-on à la fin…), chanter ce qui est peut-être la plus belle chanson de cet album, "Tonight I Need" avec un invité de la classe de John Howard, intituler de joyeuses montagnes russes baroques "Let Me Laugh Like a Drunk Witch" (« laisser moi rire comme une sorcière saoule ») et les faire culminer en pic émotionnel vite couvert par un ricanement sarcastique et de lointains klaxons de voiture… oui, Olivier Rocabois n’a jamais peur d’aller trop loin sur ce premier album publié – à 46 ans, et après une trajectoire musicale étonnante – sous son propre nom.


Mais qui irait reprocher à un Morbihannais de ne pas penser en termes de limites, de frontières ? Qui pourrait s’offusquer du manque bienheureux de règles sur un album qui part dans bien des directions, mais n’abandonne jamais son auditeur sur la route ? Il est si facile de chanter en chœur une chanson aussi joyeuse / triste que "Hometown Boys", qui nous parle forcément de manière intime avec son : « We live in songs we wish we had written / It takes long to be at peace with ourselves » (Nous vivons dans des chansons que nous aurions souhaité avoir écrites / Il nous faut du temps pour être en paix avec nous-mêmes…) !


Et puisqu’il nous annonce qu’il « voudrait effectuer sa sortie avec panache » (un titre de chanson qui rendra peut-être Neil Hannon jaloux ?), rassurons Olivier : "My Wound Started Healing" – une affirmation optimiste à laquelle on ne croit pas une seconde, mais bon ! – est une conclusion parfaite. Pendant près de sept minutes, les cordes ruissellent, le piano virevolte, les étoiles brillent dans les cieux comme dans nos yeux. Espérons seulement qu’il ne s’agira là que d’une sortie temporaire de la part d’un artiste dont on attend désormais de pied ferme le prochain album.


Et la morale de cette belle histoire serait : il faut toujours se méfier des musiciens autodidactes… Surtout s’ils sont bretons !


[Critique écrite en 2021]
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Créée

le 13 avr. 2021

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Eric BBYoda

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