A la fin des années 80 et au début des années 90, la dance n’était pas encore un genre de musique gerboulant, clinquant, bardé d’effets sonores kitsch et has been avant l’heure. Quand on voit ce que le genre est devenu par la suite, il est difficile d’imaginer que ses racines remontent à des groupes comme les Stone Roses et les Happy Mondays. Car si la musique des Happy Mondays c’est de la dance, alors la dance, c’est génial !
Je dis cela mais j’ai quand même eu un peu de mal à me familiariser avec Pills ‘N’ Thrills & Bellyaches, le disque le plus connu du groupe. Je trouvais que la musique manquait parfois d’énergie et demeurait trop plate et neutre pour ce qu’elle était censée dégager. Je m’attendais sans doute à une atmosphère plus percutante et explosive. En fait c’est pour cette raison que la musique des Happy Mondays est excellente, mais je l’ai compris seulement après quelques écoutes.
Inutile donc d’imaginer entendre de la dance telle qu’on la conçoit aujourd’hui, autrement dit des tubes electro pré mâchés faisant tourner en boucle quelques notes de synthé trouvées en pianotant trente secondes sur un clavier fisherprice. La musique des Happy Mondays conserve une énergie rock, plutôt roots, quelque chose de viscéral et compact. Les membres du groupe carburaient à la drogue, mais cela ne s’entend pas vraiment dans les chansons qui restent plutôt sobres et carrées, tout en diffusant une euphorie festive et délurée, seule trace de l’ambiance lysergique qui devait régner durant l’enregistrement du disque.
En gros, on ne retrouve aucun signe distinctif que l’on assigne souvent à la musique dance, ou à la house (pour autant qu’il existe une différence entre les deux). Primal Scream va beaucoup plus loin dans ce domaine avec Screamadelica dont certains morceaux sont immédiatement identifiable à de la musique electro bardée de samples et de rythmes dansants, pulsant comme il faut.
Les chansons des Happy Mondays sont vraiment sobres en comparaison, on a vraiment le sentiment d’être juste en présence d’un groupe de rock underground, fidèle aux racines du genre (guitare, batterie, piano et consort), qui se contente en quelque sorte d’implanter à sa musique un groove insidieux, contagieux, amusant, décomplexé, qui doit pas mal au funk avec des riffs de guitare syncopés et des chœurs soul.
Au premier abord ce groove ne paraît pas si évident car, une nouvelle fois, la production du disque semble étonamment plate, neutre, sans aucune exubérance. Et puis on se rend compte finalement que c’est l’énergie du groupe qui veut cela, on va à l’essentiel, de manière nonchalante, en déconnant et sans chercher à en faire des caisses ou à imposer un son venu d’ailleurs, sans être clinquant ou pompeux. C’est cette sorte de futilité, pour ne pas dire de jemenfoutisme qui rend l’album si essentiel et génial une fois qu’on l’a adopté.
L’atmosphère est si emballante et communicative, et le groove légèrement branleur est bien là, notamment sur le fantastique enchaînement Bob’s Yer Uncle / Step On (meilleur titre du disque, et le plus représentatif, même si c’est une reprise) / Holiday qui m’a permis de comprendre la démarche du groupe. Les premiers morceaux sont également excellents, que ce soit Kinky Afro ou God’s Cop mais le groupe a réussi le tour de force de proposer le meilleur pour la fin et de conclure sur la plus belle chanson du disque, Harmony, qui ressemble, enfin, à un véritable trip sous acide qui ne dure malheureusement pas assez longtemps avec ces chœurs évanescents qui s’achèvent brusquement.
Il est facile de considérer la réputation du disque usurpée car il ne possède sans doute pas l’évidence ou l’universalité que l’on prête à la plupart des chefs-d’œuvre de la musique rock. Pills ‘N’ Thrills & Bellyaches est au-delà de cela, et l’esprit festif et décomplexé des Happy Mondays finit par rendre l’album totalement attachant, du moment que l’on ne s’attend pas à recevoir une explosion auditive bouleversante en l’écoutant.
Ce disque n’agit pas comme une bombe mais a plutôt tendance à s’insinuer progressivement, par sa nonchalance et son enthousiasme communicatif sans prétention, par sa fougue et sa malice qui transforment une musique rock en machine à danser, sans forcer le trait, en demeurant roots. Si les Happy Mondays ont inventé quelque chose c’est bien le rock dansant (et non, les B-52’s n’arrivent pas à la cheville des anglais dans ce registre), ou le croisement parfait du funk et du rock joué par une bande de jeunes blancs défoncés.