Le talent a ceci de beau qu'il est limpide. Il efface instantanément tous les doutes, toutes les difficultés, pour ne laisser transparaître que l'essentiel. En musique particulièrement, ne reste que l'impression laissée à l'écoute.
Des heures, des jours, des années de travail, condensées en quelques minutes qui résumeront à elles seules le ressenti d'une oeuvre. Un des points essentiels est alors l'impression de fluidité, et plus que tout, l'image.


Si cela peut paraître absurde de parler d'image dans un médium ne concernant comme sens que l'ouïe, la musique a pourtant en ce sens bien plus d'impact que le cinéma pour ne citer que lui.
Là où le cinéma impose une image, une vision, quand bien même elle reste ouverte à l'interprétation, la musique s'appuie sur quelque chose de plus profond. Elle réveille (ou non) par un enchaînement de notes des émotions, crée des idées, fait naître des images.


L'image en musique existe. Elle est mentale.
Et c'est sans doute là que se situe la plus grande part de l'appréciation ou non d'un album, dans sa capacité à nous emmener vers une image agréable, intéressante. Peut-être d'ailleurs que cette image n'est au fond qu'une façon pour notre cerveau d'exprimer le ressenti de l'écoute, de la plaquer sur quelque chose de compréhensible, de tangible.


Toujours est-il que la musique possède cette capacité à nous faire voyager, à exploser les limites spatiales, temporelles, physiques, pour nous faire rêver.


Et c'est sur ce point que le talent frappe. L'image est limpide. Claire, évidente, elle ne laisse pas de doute, pas de flou. Si elle sera différente pour chacun de nous, une chose sera commune : elle réveille quelque chose de grand.
Quelque chose qui nous dépasse.


Elle fait naître l'envie d'écrire, même un instant, même mal, pour partager. Les mots flottent autour, il faut en attraper quelques-uns au vol, les coucher sur le papier. Mais reste l'impression que l'essentiel est ailleurs, qu'il réside dans des choses bien plus simples.
Le verbe est beau, puissant, varié. Mais il est désarmé face à la musique.


On peut parler, débattre, développer, analyser, expliquer, rien ne remplace l'expérience sensorielle.
Celle d'écouter la rencontre de Michel Petrucciani et Duke Ellington, la combinaison de deux pianistes majeurs.


Michel Petrucciani a réussi ce tour de force. Celui de faire plonger son public dans un abîme insondable de beauté, suspendu à ses doigts.
S'abattant doucement sur les touches souples de son piano, ils transcendent la logique pour faire éclater au fond de notre âme une image étincelante, brillant au doux son d'In A Sentimental Mood.


Une image rassurante, nimbée d'un léger halo.
De deux hommes, marchant dans un parc vers l'horizon. Une brise imperceptible faisant danser les feuilles des arbres. La promenade de Michel et Duke.
Même de dos, je le sais, ils rient ensemble.

Black_Key
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le 7 nov. 2015

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