Ramshackle Pier
7.3
Ramshackle Pier

Album de Andy Bole (2004)

Pas de bol Andy, ton folk est anachronique !

Rien de tel pour faire pleurer dans les chaumières des mélomanes qu'un bon vieux loser magnifique. Un gars que l'histoire a oublié, dont le talent n'a jamais vraiment été reconnu à l'époque pour être redécouvert sur le tard. Ah ça pour sûr y a de quoi verser de la larmichette, d'autant qu'il y en a toute une tripotée de ces gars-là, prêts à être érigés en martyrs de l'underground. Mais bon voilà, c'est bien joli tout ça mais il y en a quand même qui l'ont bien cherché. On ne me fera pas croire qu'Andy Bole, en lâchant son seul et unique album sous son nom, Ramshackle Pier, pensait vraiment vendre des disques.


Replaçons les choses dans leur contexte. Nous sommes en 1986, c'est à dire au beau milieu de la décennie du synthé kitsch, du néon fluo, de la réverb' dégoulinante et de la testostérone à paillette, c'est à dire clairement pas la période où le monde aurait envie de s'enfiler un disque instrumental, acoustique et sobre. Le folk n'est pas mort hein (d'irréductibles chevelus résistent encore et toujours blablabla) mais il s'est enterré un moment, le temps que l'orage passe, en attendant le coup de pelle salvateur que constituera la nouvelle explosion folk des années 90. Et monsieur Bole, très fier de lui je suppose, choisit ce moment pour balancer ce qui aurait dû être un pavé dans la mare folk – si celle-ci ne s'était pas asséchée au préalable. C'est que Ramshackle Pier, avec le recul, constitue tout simplement le chaînon manquant entre le folk d'alors, où les pionniers du style de John Fahey ou Robbie Basho tissaient des fresques acoustiques où l'Amérique profonde touche les côtes indiennes, et le folk à venir, celui qui ne reculerai devant aucun métissage, aucune expérimentation. Album tout à la fois hommage et précurseur, Ramshackle Pier est définitivement un disque anachronique, qu'on ne considéra alors que comme une excentricité oubliable. Triste, mais couru d'avance. D'autant qu'en plus d'apporter du grain à moudre aux historiens, Andy Bole a un sacré talent de composition. Entièrement instrumental – à l'exception de quelques borborygmes sur le morceau éponyme – l'album est aussi vivant qu'il est varié. Proposant ainsi des interprétations habitées de virées dans les grand territoires américains (« Carogeen » qui porte la marque de John Fahey, « Ambush », courte méditation lunaire – on peut presque entendre les loups hululer, ainsi que l'escapade échevelée de « Blackwater/Silver Sea »), des voyages orientaux (le raga « Pie Head », hypnotique, le trip enfumé toutes voiles dehors de « Pheromones & Incense » et les chinoiseries savantes de « Spring Snow 1 » et « Snow Past 2 », le dernier virant carrément au cabaret noir) et des sorties de route expérimentales comme les deux « Resophonics », plages acoustiques ambiantes plus légères que l'air, ou certaines parties du morceau titre. D'ailleurs puisqu'on en parle de celui-ci, « Ramshackle Pier » (le morceau, donc) est certainement le meilleur exemple de la dichotomie réussie du disque et sa capacité à conjuguer ses pôles a priori opposés. Sur cette pièce à tiroirs, l'obtus côtoie l'immédiat avec le plus grand naturel ; ces 7 minutes et quelques sont plaisantes, exigeantes, comiques même, alternant dissonances assumées et instants de grande pureté mélodique. Sur la fin on aura même droit à un riff crade qui, s'il avait été amplifié et accéléré n'aurait pas dépareillé sur un disque de hardcore. Indice que, tout anachronique qu'il soit, Andy Bole n'avait pas les oreilles dans sa poche.


Enfin voilà, il serait temps qu'on redécouvre ce farceur d'Andy, qui nous offre là un des disques du genre les plus variés de la décennie (mais ça c'était pas bien compliqué) voire carrément un des témoignages folk les plus riches tout court (ça par contre c'est fortiche). Vous n'aimerez peut-être pas tout – même si tout est bon – mais vous trouverez bien parmi ces vignettes en pagaille quelque chose de consistant à vous mettre sous la dent.

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le 15 oct. 2015

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T. Wazoo

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