2020, si elle aura été l’une des pires années imaginables, se sera avéré une mini-bénédiction pour tous les affiliés à la secte de l’huître bleue. Car après la belle surprise qu’a constitué "The Symbol Remains", le premier album du Blue Öyster Cult en 20 ans – un album qui ne retrouvait certes pas la vieille magie du groupe, mais qui était quand même bourré de bons morceaux -, voilà maintenant que nous revient Albert Bouchard… Membre fondateur – et essentiel – du groupe, Albert fut le batteur originel du BÖC, et composa plusieurs grands titres, dont le sublime "Astronomy", sans doute le meilleur morceau du groupe…


… Et ce retour a des allures de rêve pour tous les fans du Blue Öyster Cult, puisqu’Albert nous sort de sa manche un "Re-Imaginos", présenté comme la “vraie” version du – par ailleurs très bon – concept-album "Imaginos", datant de 1988. On sait que ce projet personnel d’Albert, viré du groupe en 1981, lui fut quasiment « volé » par CBS : "Imaginos" prit huit ans à être terminé, et est en fait non pas un album du BÖC, mais bien le résultat du travail de Sandy Pearlman, qui embaucha pour ce faire maints musiciens (dont Joe Satriani et Robbie Krieger !).


Nous avons donc enfin la possibilité d’entendre ces chansons telles qu’elles avaient été imaginées par Albert Bouchard, et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est passionnant, et souvent très beau. Evacuons tout de suite l’éléphant dans la pièce, le chant ! Car Albert n’a certes pas la voix d’Eric Bloom, ni même celle de Buck Dharma, et, pire encore, il ne semble pas non plus très appliqué ! Le point positif, c’est que l’album acquiert du coup une sorte de légèreté qui dynamite rapidement les attentes excessives qu’on pouvait avoir : l’idée n’est pas de pondre un chef d’œuvre en métal inoxydable, mais au contraire, de nous livrer une sorte d’esquisse d’un album qui ne pourra de toute manière jamais exister tel qu’il était conçu à l’origine : trop de temps a passé, qui a guéri les vieilles rancœurs (Sandy Pearlman est décédé, Albert apparaît sur une vidéo du dernier album du BÖC) et il l’y aucune compétition entre la version de 1988 – très bruyante, très heavy metal, très pompière par instants – et sa « ré-imagination », plus de trente ans après.


Car il faut bien reconnaître que les 9 chansons originales de "Imaginos", remises dans l’ordre qui était celui de l’histoire (on ne sait quel conte gothique inspiré de Lovecraft traitant de forces du mal et de conspiration extra-terrestre…), étaient TOUTES d’excellentes chansons. Et que le traitement bien plus sobre, moins « hard rock », voire même à la limite du genre, des morceaux nous réservent de belles surprises : on n’a, par exemple, jamais entendu "Astronomy" dans une version aussi anti-spectaculaire, aussi intimiste (presque…) et c’est très beau. Grâce à l’ajout de violon, de cuivres, de claviers, à l’utilisation fréquente de guitare acoustique, au remplacement de l’approche « bulldozer » de Pearlman par un ralentissement et un dépouillement des chansons (de manière à ce que le récit fantastique soit vraiment mis en valeur), "Re-Imaginos" est plus mélodieux, respire mieux et inspire plus.


A noter l’ajout de deux morceaux, "Girl that Love Made Blind" – dans un esprit de Noël plutôt poppy – et "Gil Blanco County" – qui louche presque du côté de Neil Young -, qui ne sont pas forcément ce qu’il y a de meilleur dans l’album, mais qui contribuent encore à l’emmener dans une direction plutôt surprenante…


On l’a mentionné, on pourra tiquer devant l’approximation, voire la maladresse du chant ("In the Presence of Another World", par ailleurs un titre fabuleux avec son fameux mantra « Your master… is a monster ! », démarre assez mal…), mais il faut bien reconnaître que Bouchard a réussi son pari : "Blue Oyster Cult", vieux poème de Sandy Pearlman, est absolument magnifique, tandis que "Black Telescope" – réinterprétation en chanson de marins celtes, violon, cuivres et cloche inclus, de "Workshop of the Telescopes" du premier album du BÖC (1972 !) – tournera longtemps dans notre tête…


Bref, c’est l’occasion de confirmer l’importance d’Albert Bouchard dans l’histoire du Blue Öyster Cult, en (re)découvrant une œuvre qui aurait pu, non aurait dû devenir un classique des années 80, et qui restera définitivement un rêve inaccompli. Mais les rêves inaccomplis ne sont-ils pas les plus beaux, finalement ?


[Critique écrite en 2020]
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EricDebarnot
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le 12 nov. 2020

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Eric BBYoda

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