Avec l'aide du magicien Richard Swift, l'humble bucheron de Seattle habille ce neuvième album d'une production cotonneuse. Chœurs, cuivres, écho et fuzz fabriquent un mur du son jamais tape-à-l'œil. Grandiose sans être grandiloquent. Comme si Townes Van Zandt avait embauché Phil Spector. La production ici est toujours au service des chansons et permet à Damien Jurado, l'un de nos plus grands songwriters, de s'envoler en gardant les pieds sur terre.
Me souviens avoir pris une bonne claque en entendant pour la première fois le bien-nommé "Cloudy Shoes", single et titre d'ouverture. Jamais je n'utilise le mot "exaltant" mais si ça doit un jour m'arriver, ma définition sera cette chanson. Damien m'avait tellement habitué à regarder mes pompes l'air triste, le voilà qui me donne envie de courir avec le sourire. Les boucles de guitare du Loner mêlés aux chœurs d'un girl-group des fifties. Le reste de l'écoute sera plus familière même si, comme je le disais, agrémentée d'un son plus riche, de trouvailles sonores jamais envahissantes, xylophone par-ci, percussions par-là. Des boucles de guitare dignes du Loner ("Wallingford") se mêlent à des mélodies de girl-group fifties ("Arkansas" pourrait être une reprise des Ronettes). Si la forme est plus travaillée, le fond reste toujours aussi brut, la complainte d'un solitaire désabusé traversant d'immenses paysages désolés ("Kansas City", "The Falling Snow", petits autels de cœurs brisés). Et cette voix. Celle d'un enfant quand il déclare son amour à "Josephine". Celle d'un romantique fatigué sur "Beacon Hill". Celle sur laquelle Bon Iver bâtira sa carrière sur "You For A While".
T'as encore du boulot Justin, on en reparle si au bout de neuf albums, tu es capable de sortir une œuvre aussi réussie. Où le maquillage ne corrompt pas l'authentique. Où l'aérien cohabite avec le rustique.