Lâcheté et mensonges
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le 29 nov. 2019
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On sait combien la Belgique est un pays où le Rock – sous toutes ses formes – est créatif, vivant, urgent même très souvent : est-ce la position géographique d’un petit pays traversé par de nombreuses influences de ses voisins qui s’accumulent et s’enrichissent ? est-ce la vitalité de la culture belge, beaucoup plus ouverte à l’autre que celles de nombreux pays européens prisonnier d’une arrogance nationaliste stérile ? Peu importe en fait, ce qui compte ; c’est qu’on trouve en Belgique beaucoup plus d’excellents groupes et artistes au km2 qu’ailleurs en Europe. Aujourd’hui, à l’occasion de la sortie de leur troisième album, "Sauvé", on va se pencher sur le cas des liégeois de It It Anita, et, croyez-nous, on va passer un excellent moment à pogoter, headbanguer, hurler, danser, bref faire toutes ces choses délicieuses que le bon Rock’n’Roll incite à faire… sans modération.
Evacuons d’abord l’étiquette fainéante collée au groupe depuis ses débuts en 2014 : non, non, It It Anita ne font pas du Noise Rock des années 90 ! Ils font du Rock, ils font du bruit, beaucoup de bruit, et ont écouté les mêmes (bonnes) musiques que la grande majorité d’entre nous : si Wikipedia balance négligemment les noms de Sonic Youth, Fugazi ou Pavement, ça veut tout dire et rien dire. On pourrait aussi bien citer Hüsker Dü, Pixies, et même tout le ban et l’arrière-ban du punk rock de bon goût, qu’on n’aurait pas dit l’essentiel. Et l’essentiel, c’est que "Sauvé" est une grosse claque dans notre gu…, avec un direct à l’estomac pour compléter, et une fois que nous sommes à terre, quelques coups de pieds dans les côtes : allez, relève-toi, camarade, pour une autre raclée !
Bon, on exagère un peu, il y a dans "Sauvé" un (1 !) titre lent, ça s’appelle "Authority", et c’est vénéneux et envoûtant comme il se doit, parce que, justement, ça parle de nos vies écrasées de 2021 : « spreading panic everywhere / they’re bringing new rules / it’s hard to imagine the world /the world of yesterday » (Ils répandent la panique partout / pour créer de nouvelles règles/ Il est difficile d’imaginer le monde / le monde d’hier…). Il y aussi quelques tempos (un peu plus) moyens, comme "Dixon Kentucky", qui serait presque pop (hi, hi… non, on rigole !) avant que les mecs ne se mettent à hurler comme des enragés…
Pour le reste, on est dans le genre « pas de quartier » : l’intro "Ghost", avec les déclamations horrifiées de Michael ou de Damien (« she lives in my head, i swear, i can feel her breath on my skin, my lobes are exploding, compressing my brain like a juice extractor ! » – Elle vit dans ma tête, je le jure, je peux la sentir souffler sur ma peau, mes lobes explosent, comprimant mon cerveau comme un extracteur de jus !) qui s’époumone (…nt ?) sur une guitare qui hulule, faisant honneur à Joe Santiago prouve d’entrée qu’on est invité au château – hanté – par des hôtes qui ne sont pas là pour plaisanter ; "Sermonizer" aurait pu trouver sa place sur l’un des albums des OhSees avant que John Dwyer ne se perde dans son amour pour le prog et le free jazz ; "Cucaracha" est la meilleure et la plus efficace dispersion de napalm enregistrée depuis le début de l’année (d’ailleurs, il y a des ONG qui commencent à protester…), et on a hâte d’être au milieu du moshpit d’un VRAI concert (pas de p… de chaises, mon frère !) pour compter les oreilles des pogoteurs qui seront arrachées avec les dents. Et puis, quelles paroles : « I’m the cucaracha / You can’t get rid of me / it’s so easy to walk by / without looking at me / Like tasteless gum under your desk I’ll be here / for decades / Crush me, try, again / My hard shell is made of pain » (Je suis la cucaracha / Tu ne peux pas te débarrasser de moi / il est si facile de passer à côté / sans me regarder / Comme un chewing gum sans plus de goût collé sous ton bureau, je serai là / depuis des décennies / Écrase-moi, essaie encore / Ma coquille dure est faite de douleur)… !
"See Through" rappelle que, clairement, le grunge était avant tout un mouvement « punk », avant que "More", avec son riff à l’efficacité redoutable, ne nous aspire vers le haut et postule sans complexe pour devenir très vite notre morceau préféré de "Sauvé". La montée dans les tours de "Routine", à écouter avec le potentiomètre fermement placé sur le 11, va vous encourager à jeter par la fenêtre tous les meubles et autres trucs qui ne servent à rien chez vous, pour avoir plus de place pour rebondir comme un haricot mexicain.
On ne l’a pas dit, mais "Sauvé" porte le nom – c’est original – de son producteur, Amaury Sauvé, mais on le comprend, vu l’excellence du travail effectué ici sur le son, sur l’exactitude des rythmes et la précision des ambiances, qui décuplent la brutalité des explosions soniques et libèrent clairement tout le potentiel des compositions.
Après la mélopée menaçante de "MOEDOH", qui enfle jusqu’à remplir la pièce, puis le monde toute entier de l’éternelle et indispensable révolte rock’n’roll contre l’ennui, "Sauvé" se clôt sur les sept minutes muettes et soniques de "53". Puisqu’à la fin, même les mots sont inutiles. TO BE PLAYED AT MAXIMUM VOLUME !
[Critique écrite en 2021]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2021/04/06/it-it-anita-sauve-to-be-played-at-maximum-volume/
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Créée
le 6 avr. 2021
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