Curieux petit EP que ce "Songs to Yeet at the Sun". Outre une référence explicite à un des tous meilleurs albums de hardcore (le cultissime "Songs to Scream at the Sun" de Have Heart), il a la particularité de faire se superposer hip-hop et hardcore véhément.
Ce n'est évidemment pas la première fois que les deux genres se croisent. On pense rapidement à Ho99o9 qui a marqué la scène récente en offrant un hip-hop pêchu et industriel et dont les influences hardcore sont affichées.
Soul Glo propose le parti inverse. Le groupe part du hardcore pour lui insuffler une énergie hip-hop avec des samples et un phrasé rappé. L'héritage des deux genres est présent, les scènes hardcore et hip-hop s'étant toujours mutuellement nourries, notamment dans l'approche du chant syncopé et rythmique. Soul Glo se caractérise aussi par son message politique sans compromission. Mené par plusieurs personnes afro-descendantes, le groupe évoque les conditions de la marginalité dans la scène punk et se revendique d'une posture intersectionnelle ferme. Les paroles des militants antiracistes et pro-queer sont aussi délirantes que sarcastiques, comme dans "29" qui évoque la prise d'antidépresseurs : "Happiness, focus, and balance to all who can pay their sacrificial offering to the AMA [American Medical Association]. Thank God for Escitalopram [antidépresseur]". Ou encore dans "2K" ou le groupe s'associe avec l'artiste trans Archangel : "Doin estrogen in the back of a Chick-Fil-A / Ain't know the weather but I know I want some dick today".
Sur le dernier album du groupe, "The Nigga in Me Is Me", le mélange des deux styles était souvent assez hétérogène, un peu comme de l'huile sur de l'eau. L'album était percutant et politique, mais peu de morceaux sortaient du lot et le projet pouvait sembler confus par moments.
Mais le nouvel EP vient insuffler une nouvelle énergie extraordinaire qui confère aux compositions une résonance unique. Dès le premier morceau, le chanteur Pierce Jordan fait preuve d'un delivery phénoménal. Entre une instru empruntant à la powerviolence et des hurlements que le screamo n'aurait pas renié, "(Quietly) Do The Right Thing" est clairement le morceau qui porte l'EP. La fusion des différentes influences du groupe, entre différentes chapelles du hardcore et du hip-hop, se fait bien plus spontanément et l'arrivée de "2K", morceau le plus rap (grosse influence horrorcore), n'est ni surprenante ni inappropriée.
"Songs to Yeet at the Sun" est un EP d'une puissance évocatrice rare et d'une efficacité indiscutable. Il est la voix d'une scène passionnante, celle du punk radical et DIY de Philadelphie. D'une voix qui refuse les catégorisations raciales, l’hétéronormativité et de la somme des discriminations subies par les personnes racisées.
Pour aller plus loin : cette excellente thèse sur la scène de Philadelphie.