Il est intéressant, dans le contexte actuel où la communauté afro-américaine se soulève contre le racisme systémique qui fauche les leurs, de reconsidérer la place des musicien.ne.s noir.e.s en dehors des genres auxquels on les y associe régulièrement.
Pourquoi la légitimité des populations noires ne serait acceptée que dans le domaine des musiques urbaines et afro-descendantes (soul, R&B, jazz, blues...) et qu'elle soit minimisée voire tue dans les styles de niche dominés par les blancs (musiques extrêmes, expérimentales, savantes hors-jazz) ?
En l'occurrence, Nailah Hunter est une harpiste californienne dont le style onirique et fantastique s'ancre dans l'héritage new age. Un héritage blanc européen qui fut poursuivi par de nombreux compositeurs japonais (Keiichi Okabe et Joe Hisaishi en tête) mais aussi par une artiste noire majeure : Alice Coltrane.
À partir de là, pourquoi la new age reste blanche, alors qu'un genre comme le blues dont les racines en plus d'être noires sont profondément ancrées dans l'exploitation raciale et l'histoire d'oppression des États-Unis, a pu si rapidement être réemployé par des musiciens blancs, à la limite parfois du white-washing ?
Car il est notamment bon de se souvenir que si de nombreux musiciens de blues noir-américains sont aujourd'hui cultes, c'est qu'ils ont été redécouverts ou encensés par des musiciens blancs (de Eric Clapton à Mark Knopfler en passant par Jimmy Page et les Rolling Stones) ; ou que Led Zeppelin a construit sa carrière entière sur des standards du blues revisités (ce qui n'enlève rien à leur qualité) en ne créditant que rarement les interprètes originaux.
La raison c'est qu'on n'a jamais accordé aux personnalités musicales noires une légitimité musicale dans les genres qui ne leur appartiennent pas. Au mieux, elles sont une pépite oubliée, une curiosité dont il est agréable de se rappeler l'existence tous les 36 du mois ; au pire, elles sont oubliées, jamais produites et méprisées par les labels. Il serait erroné, en plus d'être réducteur, d'affirmer que c'est parce que les personnes noires ne manifestent aucun intérêt, par exemple, pour le metal ou pour la musique électronique mainstream (exception faite de la techno). Ce fait résulte en réalité d'un travail de silenciation tacite, qui porte aux nues une certaine partie de la population et ignore l'autre, qui encourage d'une main et inhibe de l'autre.
La musique afro-américaine a cela d'impressionnant et d'admirable, qu'il s'agit d'une musique de sincérité. Une authenticité toute particulière car elle s'est bâtie sur le pillage d'un répertoire identitaire par le même groupe socio-culturel qui a réduit leur communauté en esclavage, puis l'a abattue dans les rues, lui a nié son histoire et ses droits civiques et qui l'a étouffée d'un genou contre la nuque.
C'est pour toutes ces raisons qu'aujourd'hui il est capital de reconnaître les talents noirs dans des genres moins évidents. Il ne s'agit pas de renier à la musique new age son patrimoine européen, mais de laisser la place à des artistes pluriels, qui sont à même de pousser le style ailleurs. De répéter le nom d'artistes noir.e.s ayant marqué le style : Alice Coltrane, Laraaji, Beverly Glenn-Copeland (également homme trans) et peut-être bientôt Nailah Hunter.
Car si le hard rock est né de la réappropriation blanche du répertoire blues électrique de Willie Dixon et Son House ; qui sait quels mouvement futurs naîtront de l'empowerment musical afro-américain et noir dans son ensemble.
ah sinon, le contenu de cet EP est de très solide qualité et explore des thématiques suggérées par la pochette : aussi apaisantes qu'inspirantes
https://nailahhunter.bandcamp.com/album/spells